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voulait pas la banqueroute. C’étaient donc là les destinées que nous réservait cet âge d’or révolutionnaire dont M. Ledru-Rollin regrette si vivement de n’avoir pas rouvert la porte ! Nous aurions été retomber dans cette barbarie économique dont la première expérience a coûté si cher il y a déjà plus de cinquante ans. Les plagiaires de 93 ne nous auraient rien épargné des merveilleux artifices de leurs devanciers, et, par amour de l’art, ils auraient copié volontairement les inventions désastreuses qui, en original, étaient du moins excusées par des nécessités terribles. Et M. Ledru-Rollin s’étonne d’avoir rencontré des résistances au lendemain de la république ! Il trouve très simple d’avoir écrit ses circulaires pour comprimer la réaction ! Qu’était-ce alors que la réaction, sinon le bon sens instinctif du pays, qui appréhendait chez de tels gouvernans la mise en œuvre de ces principes dont la révélation posthume inquiète peut-être encore et trouble plus d’un esprit, comme la dernière menace d’un ennemi qui ronge son frein ?

Ce n’était pas seulement la fortune publique et le trésor national qui étaient exposés à ces dévastations dont M. Ledru-Rollin nous esquisse le projet comme un des beaux ornemens de sa carrière. L’ordre entier de la France, l’administration civile d’un bout à l’autre du territoire, subissaient les mêmes chances de confusion et de ruine. Interrogez les souvenirs des bizarres potentats de cette époque dont on ne saurait trop graver la mémoire dans l’ame du pays, pour qu’il n’oublie jamais où l’ont mené les républicains de la première couvée. Par une rencontre propice, les souvenirs abondent depuis quelques jours. Quatrième confession, qui en vaut bien une autre ! C’est M. Ulysse Trélat, l’ancien conspirateur, l’ancien médecin des aliénés, l’ancien ministre des travaux publics, M. Trélat, déposant devant les jurés qui prononceront sur l’affaire, de Limoges et narrant en personne ses tribulations de commissaire-général. Le texte mérite vraiment de devenir sacramental et pour le fond et pour la forme, car M. Trélat est, comme on sait, un médecin qui a de la littérature. Ce texte est resté perdu jusqu’ici dans les journaux de province ; nous l’en retirons avec le respect qu’on doit aux reliques. Nous pouvons ainsi rapprocher des aveux que M. Ledru-Rollin nous communiquait tout à l’heure sur lui-même, ces aveux que d’anciens acolytes se permettent sur son compte.

« Avez-vous envoyé des rapports à Paris ? » demande le président. — Réponse : « J’ai écrit de toutes les villes soumises à mon autorité (l’autorité de M. Trélat couvrait les quatre départemens de la Creuse, de l’Allier, du Puy-de-Dôme et de la Haute-Vienne) ; je n’ai reçu nulle réponse du ministre, et le secrétaire-général Jules Favre ne me donnait aucune instruction, se contentant de me dire : Nous avons pleine confiance en vous ; vous êtes sur les lieux, vous avez pleins pouvoirs, voyez, agissez, faites comme vous le voudrez. — Tenez, messieurs les jurés, ç’a été une douleur poignante pour moi, ainsi que pour tous mes collègues, que cette inexactitude à répondre, que cette insouciance du ministre de l’intérieur. On ne saurait se figurer comment se traitaient les affaires les plus importantes. Nous demandions des réponses, on nous envoyait des commissaires ; j’en avais trouvé trois à la fois à Guéret. Non content de ces trois commissaires en pied, on en avait envoyé un quatrième, revêtu seulement d’un caractère semi-officiel, dont la besogne consistait à inspecter les trois autres, à décacheter leurs dépêches, à contrarier leurs ordres. Pour vous donner une idée