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Il s’agissait de cet impôt des 45 centimes que les royalistes ont malicieusement forcé les républicains à établir pour leur gâter la république au berceau. C’est chose connue. Cet impôt est l’œuvre de M. Garnier-Pagès ; M. Garnier-Pagès prétend qu’il n’y avait rien d’autre à faire pour avoir de l’argent, et que ce n’est pas sa faute si l’argent manquait. En fidèle ami, M. Duclerc va beaucoup plus loin, et, pour un républicain de la veille, il y a de quoi réfléchir, il dit que c’est la faute de M. Ledru-Rollin : toujours la circulaire du 12 mars, cette fameuse affiche qui a resserré les fonds et tué le crédit. Aussitôt des 45 centimes eux-mêmes, de la question de savoir s’ils seront ou non remboursés aux contribuables, de M. Chavoix qui avait inventé d’apporter cette motion à ses électeurs comme un don de joyeux avènement, de ces misères, enfin, personne n’est plus occupé. Une immense majorité va voter tout à l’heure que les 45 centimes sont meilleurs à garder qu’à rendre ; en attendant, le champ clos est ouvert, et le banc de M. Garnier-Pagès y provoque M. Ledru-Rollin : c’est un banc provocateur. Ils sont là quelques honnêtes gens qui ont payé pour les autres et qui ne se résignent point à s’en consoler. Quoiqu’ils aient l’ame bonne et soient doux à vivre, ils ont été frappés si fort dans le vif par les événemens, ils ont été si cruellement atteints par une responsabilité qui pouvait bien ne pas remonter si droit contre eux, qu’à la fin l’amertume leur est venue du cœur aux lèvres. Leur acrimonie est un peu comme leurs idées : elle a quelquefois le tort de ne pas toucher juste ; mais ici ce n’était pas le cas. M. Duclerc accusait donc M. Ledru-Rollin pour couvrir M. Garnier-Pagès. Dans la chaleur du réquisitoire, il lui échappa que la banqueroute avait été proposée comme une ressource au sein du gouvernement de l’Hôtel-de-Ville. Quel pouvait être l’audacieux patriote qui avait risqué cette proposition, plus étrange assurément au point de vue de ce temps-ci qu’au point de vue de ce temps-là ? Ce temps-ci recommence à mettre de la pruderie dans les finances publiques ; il ne faut pas le heurter c’était à qui se défendrait d’avoir eu l’idée de cet expédient énergique. Ce n’est pas M. Ledru-Rollin, ce n’est pas M. Flocon, ce n’est pas M. Crémieux ; M. Crémieux l’a dit, nous devons l’en croire. M. Dupont de l’Eure assure même que personne n’a fait pareille suggestion dans les conseils du provisoire. Ce que nous comprenons au langage de M. Duclerc, c’est qu’elle s’est faite toute seule, nous le voulons bien. Ne dit-on pas quelquefois qu’en présence de l’ennemi les canons partiraient sans canonniers ? L’hyperbole n’est pas toujours déplacée dans la rhétorique des affaires.

De ce débat, qui n’était pas lui-même médiocrement instructif, est sortie comme une explosion magnanime la nouvelle confession, la confession financière de M. Ledru-Rollin. M. Ledru-Rollin n’a pas voulu la banqueroute ; non ! mais il a voulu l’impôt sur les riches, 1 fr. 50 au lieu des 45 centimes de M. Garnier-Pagès ; 1 fr. 50, cela du moins vaut la peine et n’est pas mesquin ; 1 fr. 50, il est vrai, sur les riches seulement, constatons bien l’idée, puisque l’auteur s’en vante encore. Il n’a pas voulu la banqueroute, il a voulu l’impôt proportionnel et progressif sur tous les biens, c’est-à-dire la destruction du capital par coupes réglées. Il n’a pas voulu la banqueroute, il a voulu créer un papier-monnaie hypothéqué sur les domaines nationaux, c’est-à-dire au plus court refaire la planche des assignats : l’état possède 1,300 millions de biens, M. Ledru-Rollin, en les hypothéquant, les comptait pour 4 milliards ; mais encore une fois il ne