Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses cothurnes, et l’on a vu quelle figure c’était, une fois tout cela mis à bas, la figure de M. Crémieux par exemple. Franchement, ce n’est pas à donner le goût d’y revenir.

M. Crémieux ! ce nom nous poursuit, cette gloire nous importune ; cette gloire, nous la pensions éteinte ; il est clair à présent qu’elle ressuscite. Elle était une de ces inventions drolatiques qui égayèrent la sombre aurore de février. Avec toutes ses alarmes, avec ses noirs horizons, février nous amena cependant sur la scène publique quelques bons divertissemens, comme on appelait dans l’ancienne comédie les entrées de matassins, de scaramouches et de satyres. M. Crémieux avait un rôle à lui dans cette reprise de ballet. M. Caussidière était le géant débonnaire et fracasse ; M. Crémieux jouait le gnôme philanthropique et pleurard, comme qui dirait aujourd’hui un clown sensible et majestueux ; puis un jour, il coula sous terre en plein parlement ; il avait été pris en flagrant délit d’erreur, balbutiant par hasard un oui pour un non. Ce n’était pas sa faute, il se croyait encore au palais ; mais il avait affaire à M. Jules Favre, un intrépide amateur de vérités désagréables : on ne lui pardonna guère. Le voilà cependant plus ragaillardi, plus tribun que jamais ; il a failli, le mois dernier, nous remettre en combustion, et il s’est figuré, durant quelques minutes, qu’il ne tenait qu’à lui de recommencer un provisoire quelconque. Heureusement il a vite réfléchi qu’en pareil cas il était toujours plus sûr d’ajouter son nom sur les listes que de les écrire soi-même, et l’émeute en est restée là. Ce n’est pas une émeute cette fois que M. Crémieux nous a servie, c’est une épopée, l’épopée de ses vertus et de sa grandeur, le récit mémorable de son 24 février.

On discutait l’amendement par lequel M. de Montalembert a si justement maintenu le principe sacré de l’inamovibilité des magistrats, en assurant l’investiture républicaine à tous les titulaires actuels. M. Crémieux ne peut pas se persuader qu’il y eût de la vertu dans la magistrature avant qu’il fût garde-des-sceaux, et s’il est devenu républicain, c’est parce que la peur l’avait pris de se salir « dans la boue sur laquelle bâtissait la monarchie. » La peur ne raisonne pas. M. Crémieux en était là de sa harangue, quand un jaloux insinua que, le 24 février, il côtoyait encore la régence de beaucoup plus près que la république, allusion transparente à certain épisode que tout le monde savait du temps que M. Crémieux était ministre. Il y eut, à ce qu’il paraît, un instant, dans la grande journée révolutionnaire, où M. Crémieux, qui ne perdait pas la tête, avisa que Mme la duchesse d’Orléans, égarée dans la chambre envahie, pourrait bien cependant former un ministère sur place, et, par complaisance pure, il lui rédigea tout de suite un petit discours du trône au ton des circonstances. M. Dupin, consulté, ne trouva pas le discours mauvais, ce qui flatta sans doute beaucoup M. Crémieux, puisqu’en reconnaissance de cette approbation, chargé plus tard d’un portefeuille républicain, il maintint le serviteur intime du roi Louis-Philippe à son poste éminent. M. Crémieux voulait probablement démentir cette anecdote en l’expliquant ; il a si bien réussi, que l’anecdote est à présent de l’histoire : la vérité toute seule a parlé par sa bouche. Des révolutionnaires si décidés ne font-ils pas honneur au sérieux de la révolution ?

Autre confession maintenant pour nous apprendre ce qu’il y a de naturel et de sincère dans ces prétendus vouloirs du peuple souverain. M. Ledru-Rollin est à Bourges, il dépose devant la haute cour, non pas contre, non pas pour,