Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aura, je l’espère, sous ce rapport, des suites fécondes. En Angleterre, en Amérique, dans ces grands pays libres où les partis savent si bien agir sur l’opinion publique, des réunions semblables nous ont donné des exemples dont nous saurons profiter. Les trois grands agens de la vie politique sont, dans un pays libre, l’opinion publique, la représentation nationale, le pouvoir. L’action de l’opinion publique sur la représentation nationale et sur le pouvoir porte, chez nos voisins, le nom significatif de pression du dehors. Avec le suffrage universel, la presse populaire, l’émancipation provinciale et les chemins de fer, la pression du dehors deviendra un rouage de jour en jour plus puissant dans notre gouvernement. Il faut donc organiser la pression du dehors au profit des principes conservateurs de la société ; il faut que l’œuvre de la rue de Poitiers soit le point de départ d’une action permanente. En fondant ainsi la propagande par l’association et par la presse, nous substituerons chez nous la centralisation morale, qui est celle des peuples libres, à la centralisation administrative et mécanique, qui est celle des gouvernemens despotiques. Le jour où les départemens les plus éloignés ne seront plus qu’à une journée de Paris, a le jour où la distance trop grande qui sépare encore, dans la vie politique, la capitale de la province sera effacée, — ce jour-là, la capitale sera partout où des intérêts prépondérans se concerteront pour agir, partout où les hommes politiques qui sauront incarner en eux la pensée du pays et du moment feront entendre leur voix, partout où éclatera la force et l’idée du temps. Alors, la société, toujours avertie du mal, sera toujours éclairée sur le remède, et ne sera plus exposée aux surprises des révolutions. Alors aussi s’accomplira plus étroitement, et avec une réciprocité d’action plus directe et plus suivie, l’équilibre de la pression du dehors, de la représentation nationale et du pouvoir. Alors, à mesure que les forces saines et actives du pays pèseront davantage sur le gouvernement, on verra s’accroître dans nos assemblées le nombre des hommes capables de concentrer dans leurs têtes tout l’ensemble de la politique du pays, d’embrasser les affaires dans leur corrélation, de connaître et de manier les ressorts qui donnent l’élan à l’industrie d’un peuple, de se rendre compte de l’influence quotidienne du pouvoir sur toutes les affaires, et non-seulement de s’en rendre compte pour eux-mêmes, mais de l’exposer journellement aux assemblées et au pays ; — des hommes qui feront ainsi pénétrer la pensée du pays dans tous les plans du gouvernement, qui associeront réellement le pays à tous les actes du pouvoir, en sorte que le pays sente que, non-seulement il est gouverné, mais qu’il se gouverne véritablement lui-même ; des hommes, en un mot, vraiment dignes d’être chefs d’empire et ministres d’une république florissante. Alors la France nouvelle aura un nouveau Colbert, et nous oublierons Proudhon.


EUGÈNE FORCADE.