Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous portons si enracinée en nous l’idée que le gouvernement a le pouvoir et le droit de tout décider, nous nous sentons si peu maîtres de la direction de notre propre activité et si peu responsables de la conduite de nos affaires, que, lorsque nous souffrons d’un malaise dont nous ne voyons ni auprès de nous ni en nous la cause et le remède, nous renversons le gouvernement. Nous n’avons pas de moyen plus court, plus simple, plus facile de conquérir ce chimérique bien-être que nous appelons toujours liberté, que de nous emparer du pouvoir. Sauf un petit nombre d’esprits éclairés et libéraux, mais indignement calomniés et tristement méconnus, les partis, chez nous, n’ont jamais combattu pour la liberté ; ils n’ont lutté que pour saisir le gigantesque instrument de la tyrannie.

Un pareil état de choses, c’est la révolution en permanence. Tant qu’il durera, le gouvernement sera toujours l’appât et la proie des minorités ; rien ne nous garantira contre le retour des actes odieux dont nous avons eu le spectacle après février. On rougit, lorsqu’on songe à la rapidité avec laquelle un peuple qui se croit fier s’est soumis au personnel du gouvernement provisoire ; on rougit, lorsqu’on se rappelle que, sans attendre les premières mesures de ces chefs de factieux qui s’étaient attribué le pouvoir souverain, la France est tombée à leurs pieds, que tous les corps publics, tous les fonctionnaires, magistrats, généraux, amiraux, préfets, par la poste, par le télégraphe, en personne, se sont empressés d’adhérer à une autorité sans nom. Ceux mêmes que cette honteuse prostration indignait le plus demeuraient anéantis dans le sentiment de leur impuissance. Nous tous, qui protestions dans nos cœurs, nous nous sentions divisés, isolés ; aucune institution ne nous fournissait le moyen de nous rapprocher, de nous réunir, pour venger la liberté et la dignité de la France ; hommes d’ordre, accoutumés au respect de la loi, nous n’avions pas la ressource des factieux, enrôlés, organisés, disciplinés par les conspirations ; le jour où le pouvoir avec lequel nous avions voulu protéger la société nous était ravi, toute sa force retombait sur nous et nous écrasait. On accuse les Français de manquer de courage civil ; pour avoir le courage civil, il faut qu’un peuple ait dans ses institutions des retranchemens d’où il puisse défendre ses libertés civiles. Ce sont les armes et non le courage qui nous font défaut ; mais cette lacune qui abandonne le pouvoir au hasard d’une émeute est un encouragement toujours offert aux minorités les plus audacieuses et les plus désespérées. Les fous, les exaltés, les ruinés, les joueurs, les aventuriers, attaquent sans se compter. M. Ledru-Rollin a confessé devant la cour de Bourges la cynique hypocrisie avec laquelle les factions exploitent les mécontentemens publics, mettent dedans tout un peuple, et emportent le pouvoir par une sédition dont le prétexte et le moment sont habilement choisis. La société désarmée