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cette dissolution philosophique qui préparait la dissolution matérielle de la société, une seule force de conservation restait debout : c’était la foi religieuse et sa vivante expression, l’église. Par une coïncidence providentielle, au moment où l’esprit révolutionnaire s’apprêtait à livrer à la société de nouvelles batailles, l’église de France puisait dans les premières épreuves de notre liberté un redoublement de vigueur, de zèle et de prosélytisme. Elle connaissait bien le mal qui envahissait la France, car elle embrassait et pénétrait la société par tous les points. Ah ! on lui disait depuis un siècle, et d’impertinens déclamateurs lui répétaient tous les jours qu’elle était morte, et il s’est trouvé que, dans cette civilisation où tout s’écroule ou tremble, elle seule survivait, partout présente et agissante. Elle seule possédait et distribuait à la société tout ce qui élève l’ame, tout ce qui apaise la douleur, tout ce qui soulage la misère, tout ce qui efface la faute dans le repentir, tout ce qui épure la vie et réconcilie avec la mort. Tutrice du pauvre, — enfant, elle l’instruisait dans ses écoles ; — ouvrier, elle le moralisait dans ses confréries ; — indigent, malade, vieux, elle le secourait par ses associations charitables ; — coupable et retranché de la société terrestre, elle l’accompagnait, l’embrassait et le bénissait, un crucifix à la main, jusque sur le tombereau des suppliciés. Eh bien ! à cette société si malade, l’église, pour la guérir, ne demandait que le libre usage des deux moyens les plus puissans du prosélytisme : la liberté d’enseignement et la liberté d’association. Aussitôt un orage se forma contre elle. Cet égarement qui, au 24 février, poussa dans les rangs des démolisseurs, avec un mot : Vive la réforme ! tant d’hommes intéressés à la défense de la société, en avait tourné un plus grand nombre, encore contre l’église avec ce cri brutal : À bas les jésuites !

Ce n’est encore là qu’une des faces de l’état de division, d’éparpillement, d’ignorance où vit la société française. On retrouve les mêmes caractères dans l’instruction et dans les mœurs. Il serait superflu d’insister sur les vices de l’instruction secondaire tant de fois signalés par les esprits pratiques ; mais je ne peux m’empêcher d’accuser cette fausse éducation littéraire de laisser tomber le niveau intellectuel du pays, de contribuer à la décadence de la littérature, de livrer des esprits énervés par l’ennui et le vide des études classiques à ces absurdes systèmes qui les corrompent si facilement. L’instruction littéraire, lorsqu’elle n’est point poussée dans ses profondeurs, est un piège pour l’esprit : elle lui inspire la présomption sans lui communiquer la vigueur, elle le remplit de généralités vagues qui lui donnent le mépris des faits et l’exposent à la séduction des plus grossières utopies. Placez des esprits aussi leurrés et aussi peu armés dans une société comme la nôtre, où la philosophie leur dit qu’ils sont capables de se faire à eux-mêmes une religion et une morale, où l’égalité politique