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sociale de l’Angleterre est aristocratique. Il y a en Angleterre trois classes de citoyens : l’aristocratie, les classes moyennes, le peuple. Au point de vue économique, voici comment elles fonctionnent : l’aristocratie concentre, entretient, perpétue au sommet de la société un immense réservoir de richesses qui devient, par l’industrie des classes moyennes et le travail du peuple, le plus puissant levier de production qui soit connu dans le monde. Quels que soient les vices que l’on veuille reprocher à la constitution sociale et économique de l’Angleterre, on est forcé de reconnaître qu’elle forme un système complet, un mécanisme dont toutes les parties se correspondent et marchent d’un mouvement régulier. Le travail social se divise entre l’aristocratie, qui gouverne, c’est-à-dire qui applique la culture intellectuelle qu’elle acquiert dans les loisirs de la fortune à la direction des intérêts généraux de la communauté et qui seconde par les moyens politiques l’expansion de l’activité nationale ; les classes moyennes, qui alimentent la production par le génie, le courage, l’élan de la spéculation industrielle et commerciale ; le peuple, qui donne au travail la main-d’œuvre. L’Angleterre réunit donc les deux conditions fondamentales d’une constitution économique régulière et saine : la solidarité et le concours des diverses classes de citoyens par la division du travail ; la satisfaction de cet instinct, de ce besoin d’expansion qui, dans le monde matériel comme dans le monde moral, sont la loi de la nature humaine.

En France, comment la société est-elle partagée et distribuée au point de vue des moyens de production ? Quelle garantie de développement a-t-elle au point de vue des moyens d’existence ?

La France, avant la révolution de 1789, avait des classes solidaires qui auraient pu se combiner dans une constitution économique analogue à celle de l’Angleterre : elle avait la noblesse, la bourgeoisie, les corporations ouvrières. La révolution française s’est accomplie en dehors des considérations économiques. Aujourd’hui il n’y a pas parmi nous des classes homogènes et solidaires. Il reste bien des nobles de race ou de titre : il y a bien, comme disent les socialistes, des bourgeois et des prolétaires ; mais ces classes, qui se continuent dans les mœurs, ne correspondent pas à des fonctions économiques spéciales. La société française se divise non en deux classes constituées, mais en deux catégories : ceux qui ont un capital et ceux qui n’en ont point ; ceux qui possèdent l’instrument du travail et les moyens de production, et ceux qui ne les possèdent point ; ceux qui ont l’existence matérielle assurée, ceux qui n’ont qu’une existence précaire conquise par un travail quotidien. Or, dans la seconde catégorie, il y a des nobles et des bourgeois en grand nombre.

Au point de vue économique, le travail, l’existence, le développement