Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y a un ciel au-dessus de toi, un enfer au-dessous de loi. Marche avec rectitude, de peur des faux pas ; car, si le ciel est haut, l’abîme est profond. La vie est une lutte, et rien de plus. L’homme, quel qu’il soit, a reçu une mission qu’il doit remplir. » Il ne pense pas que l’homme soit né pour le bonheur ; il se raille des doctrines sentimentales, des plaisirs de la vertu, de la bienveillance universelle. Toutes les sentimentalités sont pour lui hypocrisies : « La sentimentalité, dit-il, est la sueur jumelle de l’hypocrisie ; l’une et l’autre sont un mensonge distillé doublement, un mensonge élevé à sa seconde puissance. » Rien n’est doux et affectueux dans sa doctrine du devoir. Il a écrit sur le bonheur des pages amères et vigoureuses. L’école satanique est surtout l’objet de son indignation la plus vive : « Qu’un Byron merveilleusement doué, dit-il, ne trouve rien de mieux à faire que d’avertir tout l’univers qu’il ne se trouve pas heureux, c’est le plus triste spectacle que présente notre siècle ; car il est triste que les poètes n’aient pas de message plus noble et de choses plus sacrées à accomplir. » Quant aux obligations de l’homme, la plus sainte lui paraît celle du travail. Carlyle ne sort pas de la vieille doctrine de la nécessité du travail, et cette doctrine, qui a besoin d’être prêchée ; dans notre temps sous une nouvelle forme, lui inspire de très belles paroles : « Admirable, dit-il, était la devise des anciens moines : Laborare est orare ; tout travail est sacré. Dans toute œuvre véridique, dans le travail manuel même, s’il est sincère, il y a quelque chose de divin. Le travail, large comme la terre, a son sommet dans le ciel. La sueur du front et, au-dessus de celle-là, la sueur du cerveau et la sueur du cœur n’expriment-elles pas tous les calculs de Képler, toutes les méditations de Newton, toutes les sciences, toutes les épopées écrites, tous les actes héroïques, tous les martyres, jusqu’à cette agonie de sueur sanglante que les hommes ont appelée divine ? O amis, si cela n’est pas le culte, alors il faut prendre en pitié le culte, car le travail est la plus noble chose qui ait été encore découverte sous le ciel. Tu te plains de ta vie laborieuse, ne te plains pas. Regarde en haut, pauvre frère fatigué ; vois tes compagnons de travail qui survivent dans l’éternité, qui survivent seuls, bande sacrée d’immortels, céleste garde du corps du genre humain ! Même dans la faible mémoire humaine, ils survivent long-temps sous le nom de saints, de héros, de dieux ; ils survivent et peuplent seuls les solitudes infinies du temps. Pour toi, le ciel, quoique sévère, n’est pas sans tendresse ; il est tendre comme une noble mère, comme cette mère spartiate qui disait à son fils, en lui remettant son bouclier : « Reviens avec lui, mon fils, ou sur lui. » Tu reviendras avec honneur à ta dernière demeure, n’en doute pas, si, dans la bataille, tu as su garder ton bouclier. Dans l’éternité et dans ses profonds royaumes, tu n’es pas un étranger, tu es partout un citoyen. » Cette doctrine de la nécessité du travail est chrétienne, mais enveloppée dans le puritanisme. Ce n’est