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tous l’explication de la révolution française, et qui, une fois au pouvoir, répètent tous qu’après eux il n’y a rien. Les événemens se chargent de les démentir, et l’histoire de la révolution française reste là comme une énigme que chacun explique à sa guise, et dont personne ne peut avoir le dernier mot. Eh bien ! acceptons l’explication de Carlyle, disons avec lui que ce fait, c’est l’anarchie, c’est le sans-culottisme ; que le résultat n’est pas le gouvernement constitutionnel, le triomphe du radicalisme, l’avènement des classes moyennes, ou l’émancipation des classes populaires, mais qu’il est plus que tout cela ; que ce résultat nous est entièrement inconnu, et se fera attendre long-temps encore ; qu’en voyant la crise terrible dans laquelle l’Europe est entrée, nous pouvons appeler ce fait, avec Carlyle, une crise dans l’humanité, une destruction et une renaissance, « un tombeau qui est en même temps un berceau ; » que le monde tout entier depuis quelque cinquante ans se consume pour renaître de ses cendres, comme le phénix ; seulement sous quelle forme et avec quel plumage ? cela est inconnu. La France et l’Europe ne sont-elles pas, comme le dit Carlyle dans son étrange langage, des pays sans-culottiques ? Quels vêtemens ont-elles aujourd’hui ? quelles mœurs établies dans lesquelles elles soient enveloppées ? quel gouvernement et quelle foi ? Aucune foi, mais des souhaits ; aucun vêtement original, mais des habits d’emprunt qu’il nous faut rendre à certaines échéances et qui nous sont arrachés d’une manière assez brutale. Nous en avons emprunté à l’Angleterre, ils nous ont été arrachés ; nous en empruntons à l’Amérique, serons-nous plus heureux ? Il faut en désespérer, car nous avons encore tout prêt un parti qui propose d’en emprunter au vice-roi d’Égypte. Prenons donc la révolution française comme une destruction, la démocratie « comme la triste et inévitable fin de beaucoup de choses, comme le commencement de beaucoup d’autres, » notre siècle comme un temps de transition ; mais ne pensons pas follement que toutes ces choses soient définitives. Oui, comme Carlyle le laisse penser, un nouvel organisme sortira un jour de toute cette poussière et de tout ce détritus ; mais quel sera-t-il ? Carlyle ne le dit pas, et a raison de ne pas prophétiser. D’après les inductions qu’on peut tiret des faits, cet organisme sera-t-il une nouvelle édition de l’ancienne société féodale ? Non. Sera-ce la démocratie ? Non. Carlyle la prend, nous l’avons déjà dit, pour la triste et inévitable fin de beaucoup de choses, pour le commencement de beaucoup d’autres. « La démocratie, dit-il dans son livre intitulé Chartisme, excepté les pays où, comme les États-Unis, le pouvoir de la commune est suffisant, arrive à un résultat net comme zéro. » Quant à son côté moral, philosophique, il dit assez brusquement : « La démocratie signifie l’absence de héros pour nous conduire. » Les gouvernemens constitutionnels, il les appelle gouvernemens de transition, et, quant à leur