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de Mammon, leur dit-il. Je vous estime cependant, car au moins vous travaillez, tandis que les autres classes gouvernantes se croisent les bras ; mais votre travail est celui du boucanier, pas encore celui du chevalier. » Quant à l’aristocratie, au dire de Carlyle, elle n’a d’autre évangile que l’évangile du dilettantisme. Sa seule occupation est de tuer les perdrix de l’Angleterre et de se présenter avec ou sans grace sur les sport turfs. Je ne sais en vérité à quel part l’auteur du Sartor resartus na pas déclaré la guerre. Chartisme, puseyisme, socialisme, aristocratie, utilitairisme, industrialisme, statistique, tout cela a été par lui bafoué, raillé, persiflé. « Taisez-vous tous, fous que vous êtes, s’écrie-t-il, taisez-vous, novateurs insensés. Si, malgré toutes ses misères, j’aime ma patrie, c’est que mon cher John Bull est né conservateur, lent à croire aux nouveautés ; je l’estime, à cause de cela… Grand est le mérite de l’homme qui dans des jours de changement marche sagement, honnêtement. J’écris pour des hommes, je n’écris pas pour des adorateurs d’idoles, pour des hommes diminués d’autant de leur valeur individuelle qu’ils en sacrifient à un parti. Je m’inquiète peu de ce que pensent de mes écrits les tories, les whigs, les prêtres ou les philosophes. » Et ainsi cet homme passe au milieu des partis sans se faire l’adepte, le disciple, l’écrivain et l’orateur d’aucun d’eux ; sûr de trouver son public à la fois chez les chartistes et les utilitaires, chez les radicaux et les tories.


II. – IDÉES DE THOMAS CARLYLE.

Thomas Carlyle croit à la puissance des symboles. Toutes les choses de ce monde, les institutions, les lois, le culte, le gouvernement, sont des symboles. Toutes ces choses, selon lui, ne sont pas des réalités ; elles en sont l’enveloppe, l’habit. Toutes les idées, toutes les affections du cœur de l’homme ont besoin d’être réalisées, de devenir visibles. Heureux, selon lui, les peuples qui ont des, symboles de tout ce qui intéresse l’homme, de tout ce qui touche à l’homme ! Ces peuples ont un habit pour se vêtir, une maison pour s’abriter ; car, à proprement parler, les lois, les gouvernemens et les institutions ne sont pas notre vie, dit-il, mais seulement la maison que se construit le principe de vie qui est en nous. Jamais ce symbole n’est fort ; jamais notre vie n’est à couvert tant que la vie et le symbole qu’elle s’est créé ne sont pas confondus ensemble, unis comme l’ame et le corps, mêlés si indissolublement que l’on ne puisse distinguer où commence l’un et où finit autre. Lorsque ce mélange s’est opéré, la vie d’un peuple a pris véritablement forme ; la vie idéale s’est réalisée, et le symbole qui la représente s’est imprégné de sa substance. La réalité et l’idéal sont unis, et c’est cette alliance, et celle-là seule (entendez-vous, faiseurs de constitutions !),