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à peu près en 1831 ; depuis, tout cela a bien changé pour l’Allemagne), puisqu’au milieu de ce tocsin et de ce tumulte d’émancipation catholique, de bourgs-pourris, de révoltes de Paris qui fatiguent les oreilles françaises et anglaises, l’Allemand peut se tenir debout, paisible, au haut de sa tour d’observation scientifique et annoncer, par intervalles, à l’univers, qui si souvent oublie le fait, quelle heure il est réellement. » Ces lignes nous frappèrent comme une révélation subite, la première fois que nous les lûmes, et les doctrines allemandes nous apparurent ce qu’elles sont véritablement, une observation scientifique de notre temps.

Les philosophes allemands ne sont pas, à proprement parler, des métaphysiciens. Que sont-ils donc ? Notre siècle a trouvé leur nom : ils sont des penseurs. Ce mot est le seul qui leur convienne comme à tous les philosophes de notre temps ; aussi le mot est-il contemporain et tout nouveau ; je n’en trouve pas trace dans les siècles précédens. Et ici, admirez comme chaque siècle, sans qu’il en ait conscience, rencontre admirablement le mot qui convient à ceux qui sont ses guides, ainsi que dirait Carlyle. Le mot penseur est le seul qui convienne aux écrivains de ce temps-ci, comme le mot philosophe aux écrivains du XVIIIe siècle, comme le mot protestant aux réformateurs du XVIe siècle. Cherchez bien, il n’y en a pas d’autres. Que signifie le mot philosophe au XVIIIe siècle ? Homme qui s’appuie sur la sagesse humaine purement et simplement, par conséquent adversaire direct et déclaré de la foi. Et le mot protestantisme ?! lieux que le mot de réforme ou tout autre, il exprime l’esprit du XVIe siècle, époque où la volonté humaine fit sa première protestation générale contre les doctrines dans le sein desquelles le moyen-âge avait vécu. Or, le mot de penseur exprime aussi admirablement l’esprit de notre siècle : nous pensons, nous rêvons, nous hasardons des doctrines, nous ne faisons et nous ne pouvons faire que cela. Avons-nous foi en une doctrine quelconque ? Non. Expliquons-nous les doctrines sur lesquelles repose la société ? Cela nous serait difficile par le temps qui court, attendu que la société ne repose à peu près sur rien. À proprement parler, nous ne pouvons avoir ni théologiens, ni métaphysiciens, ni docteurs, mais simplement des penseurs, et puis quelques prophètes sous un étrange habit. Nous n’avons ni foi solide, ni doctrines établies, mais seulement des vues, des pensées, des pressentimens. Or, tout cela est séparé par un abîme de ce qui s’appelle métaphysique. Métaphysique, pour la plupart, signifie dissertation sur les choses spirituelles. C’est là la plus profonde erreur dans laquelle on puisse tomber. La métaphysique repose sur l’immuable, sur l’éternel, sur l’essentiel ; elle ne cherche pas, à proprement parler, les lois du monde, elle les explique ; elle ne cherche pas l’unité, elle la maintient. Et maintenant, les doctrines allemandes, que sont-elles ?