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aux idées philosophiques et historiques, illustrent le livre et se dessinent de loin en loin comme de petites oasis. De singulières figures, le docteur Teufetsdröck, le bon ami Hofrath Henschrecke, la vieille servante Leischen, Blumine, la première maîtresse du professeur, se promènent à travers le livre. C’est le monde de Jean-Paul en miniature, mais un peu maladroitement imité. Ces oasis et ces idylles sont là placées assez artificiellement, comme un rocher ou une source au milieu d’un jardin anglais ; mais ce ne sont pas, à proprement parler, l’artiste et l’écrivain qui nous préoccupent ici : le livre est précieux pour nous en ce qu’il est une autobiographie de M. Carlyle ; non-seulement nous pouvons y surprendre la source de ses idées, mais encore le nom de Thomas Carlyle est caché sous le nom allemand de Teufelsdröck. Les épisodes de la vie du professeur Teufelsdröck sont des épisodes de la vie de Carlyle. Nous pourrons donc surprendre ses premières pensées, voir comment et par quels incidens ses idées se sont formées peu à peu.

Un doute funeste s’empare aujourd’hui de tout homme qui ouvre un livre nouveau. On se demande machinalement, et comme sous la pression d’une longue habitude : Est-il socialiste, celui-là encore ? Non, M. Carlyle n’a aucun rapport avec ces bizarres philosophes, il a même été, en plus d’une occasion, leur adversaire décidé. Il est né sur les frontières de l’Écosse, de braves fermiers fort honorés dans leur pays. L’exemple du travail lui a été donné de bonne heure. Il a pu réfléchir, dès ses premières années, à ce que contient de saint et d’utile l’universelle obligation du travail. Il a vu de près les efforts pratiques de la vie, et, de bonne heure, il a pu se mettre en garde contre les théories du travail attrayant et les rêves de bonheur. La vie lui est apparue d’abord sous son aspect austère et moral. « Dans tous les jeux de l’enfant, dit-il, vous distinguez un instinct créateur ; l’enfant sent qu’il est né homme et que sa vocation est de travailler. » — « Une importance infinie, écrit-il ailleurs, se cache dans le travail. Les broussailles sont éclaircies par lui, et à leur place se découvrent les riches campagnes et s’élèvent les belles cités, et intérieurement l’ame de l’homme qui travaille cesse aussi d’être un désert malsain couvert de broussailles. Voyez comme l’ame de cet homme se fond en une sorte d’harmonie réelle aussitôt qu’il se met à l’ouvrage ! Le doute, le désir, le chagrin, le remords, l’indignation, le désespoir, tous les chiens de l’enfer rugissent dans l’ame du pauvre travailleur comme dans celle de bout homme ; mais, lorsqu’il se met à sa tâche avec un libre courage, tous à l’instant se taisent et rentrent murmurans dans leurs cavernes. L’homme alors est véritablement un homme. » Carlyle sait les durs travaux auxquels il faut se livrer pour rendre « un peu plus vert quelque petit coin de cette terre ; » il sait aussi que ce dur travail nous