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entièrement par intuition et par affirmation. S’il nous fallait donner une définition du mysticisme, nous dirions : Peut être qualifiée de mystique toute doctrine qui s’appuie sur l’invisible, sur le mystère, et affirme que le mystère est la seule chose vraiment vivante, la réalité la plus forte de toutes. Peut encore être appelée mystique toute doctrine qui ne part ni d’un fait extérieur ni d’un point donné, mais qui, sans méthode et sans parcourir la longue chaîne des déductions et des raisonnemens, va droit à son but par la seule impulsion de l’élan intérieur et va saisir immédiatement la vérité. Deux choses constituent donc le mysticisme la foi dans les choses invisibles comme principe et source des choses visibles, et l’absence de méthode et de déduction, l’intuition directe. D’où il suit que le mysticisme est simplement le spiritualisme retourné, mais ennobli ; car, au lieu de remonter de l’effet à la cause par de longs labeurs qui peuvent finir par le scepticisme, si le penseur s’arrête à un certain anneau de la chaîne des déductions, ou par la négation absolue, s’il ne peut arriver à une conclusion, le mysticisme va droit saisir la cause et de là suit ses conséquences, ses rayonnemens, ses reflets dans les choses visibles.

Ce sont les violens qui enlèvent le royaume des cieux. On pourrait en dire autant des mystiques. Ils montent vers la vérité, comme avec des ailes de feu, et poussés par un irrésistible élan. Le mysticisme a cela de particulier et de propre à nous faire réfléchir, qu’il n’est pas le produit de la méditation et de l’étude. On ne naît jamais avec un système inné : on devient stoïcien, déiste, sceptique ; mais, à coup sûr, on naît mystique. Ceux qui voudront railler auront beau jeu, et pourront dire que cette doctrine est une affaire de tempérament ; car on peut affirmer que le mysticisme réside dans l’ame et se répand dans l’organisme de certains philosophes. Pour se déclarer, cette doctrine n’attend qu’une occasion, absolument comme l’aptitude poétique. C’est une chose à faire réfléchir, qu’il y ait des hommes naissant avec une ame entièrement tournée vers l’idéal, et qui sur toutes les affaires de ce monde répandent un sentiment religieux.

Deux choses composent un mystique : l’instinct et la faculté d’observation. Presque tous les mystiques sont instinctifs et s’élancent d’un bond vers ces choses qui s’appellent idéal et vérité ; mais l’instinct, chose irréfléchie et jaillissante, sort, se répand comme une lave ardente ou comme une source souterraine. C’est un feu concentré qui doit faire explosion, une eau qui, long-temps accrue, doit sortir et inonder ; c’est véritablement comme une révolte intérieure : l’instinct est donc entièrement aveugle, capable de se tromper, de prendre l’absurde pour la vérité, et ce qui est occulte pour ce qui est évident et certain. Heureusement, chez presque tous les philosophes dignes du nom de mystiques, la faculté de l’observation vient au secours de l’instinct. Presque