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tourner les obstacles de tout genre accumulés sur notre route. Tantôt c’était un bloc de rocher à franchir, tantôt une fondrière à éviter. Nous marchâmes ainsi, haletans et muets, jusqu’à l’entrée d’une gorge devant laquelle nous nous arrêtâmes, craignant de nous être écartés plutôt que rapprochés de notre but. En effet, un nouvel appel retentit tout à coup sur un point opposé à celui où le premier s’était fait entendre ; cette fois, les hurlemens étaient si plaintifs, que nous ne pûmes nous empêcher de tressaillir. Nous avions donc fait fausse route ; il fallait revenir sur nos pas. Toutefois j’arrêtai auparavant le squatter, et je lui fis remarquer que ces hurlemens, partis de directions contraires, n’avaient pu être poussés par le même individu. Le premier signal avait dû être donné par le chasseur canadien, le second par Terry. Au moment où nous allions de nouveau nous engager au hasard dans un des mille défilés de la montagne, trois hurlemens retentirent à nos oreilles dans une direction qui n’était plus celle des premiers signaux. Le romancier était-il donc séparé du chasseur, et était-ce lui que nous entendions cette fois ?

— C’est singulier, dit Township en essuyant son front humide d’une sueur froide, votre compagnon le Français hurle d’habitude comme un mouton qui bêle, et voilà que, de trois côtés différens, j’entends des cris que je croirais ceux d’un loup hurlant à la lune si…

Une explosion soudaine interrompit le squatter, un nouvel appel suivit l’explosion, deux hurlemens de loup seulement se firent entendre. Dans une angoisse profonde, nous attendîmes le troisième, mais le silence ne fut plus troublé. Cette horrible solitude, ces pics aigus, ces gouffres béans de la sierra, présentaient un aspect si menaçant la nuit, que je sentis un instant mon courage m’abandonner, à l’idée que peut-être, derrière ces amas de rochers, des ennemis invisibles allaient nous frapper à notre tour, comme le malheureux compagnon dont la mort avait sans doute étouffé la voix. Qui, du chasseur, de Térence ou du romancier, venait de succomber ? Nous marchâmes sans nous communiquer nos pensées ; l’haleine du squatter, saccadée et sifflante, indiquait les angoisses de son ame. Nous errâmes au hasard ainsi une partie de la nuit, poursuivant sans trêve des voix qui semblaient fuir sans cesse devant nous, quand enfin, à un dernier signal du squatter, les hurlemens se rapprochèrent, et deux hommes sortirent d’un chemin creux. C’étaient le chasseur et son compagnon. Ils regagnaient le camp sans avoir vu le fils de Township, après avoir comme nous perdu beaucoup de temps en d’inutiles recherches. Nous les engageâmes à se joindre à nous, et nous continuâmes, aidés de ce renfort, notre périlleuse exploration, en nous dirigeant vers l’endroit où le coup de feu avait retenti. Le chasseur canadien, une torche de résine à la main, guidait notre petite troupe ; il s’arrêtait souvent pour examiner le sol.