Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
REVUE DES DEUX MONDES.
Mme  DE MONTPENSIER.

Il y avait foule, on chuchotait, personne n’osait parler. Tout ce que j’ai pu comprendre, c’est que, ces jours derniers, à la nuit tombante, M. de Cypierre est entré en ville avec trois mille chevaux, qu’il s’est établi dans la maison commune, a désarmé tous les bourgeois et logé force soldats dans les maisons qui lui semblaient suspectes.

LA REINE-MÈRE.

Mais qu’ont-ils fait, ces bourgeois ? Quel est le crime de Groslot ?

Mme  DE MONTPENSIER.

On parle de complot… d’un projet de livrer la ville aux princes.

LA REINE-MÈRE.

Quelque invention du cardinal ! Ce n’est pas que le cher bailli m’a bien l’air, entre nous, d’aimer fort peu la messe.

Mme  DE MONTPENSIER.

Croyez-vous, madame ?

LA REINE-MÈRE.

Vos amis de Genève ne vous l’ont jamais dit ?

Mme  DE MONTPENSIER.

Mes amis de Genève ! Votre majesté n’en veut donc pas démordre ?…

LA REINE-MÈRE

Si vous n’êtes huguenote, ma belle, vous ne valez guère mieux… Je ris, mais au fond de l’ame je suis bien triste, et n’en ai que trop sujet ! Quand je pense que, sans la lettre de Morvilliers, je m’en allais tout droit à Meaux ! Des gens que j’ai faits ce qu’ils sont, se jouer si lestement de moi ! qu’en dites-vous, duchesse ? c’est un sans-façon merveilleux ! On change l’édit de convocation, on décide, je ne sais pourquoi, que les états se tiendront ici ; prend-on la peine de m’en donner avis ? En arrivant, tout à l’heure, je trouve des lettres… de qui ? des princes, de Montpesat, de tout le monde, sauf de mon fils ou de messieurs ses oncles. S’il est vrai qu’ils aient découvert quelque trame, ne pouvaient-ils m’en toucher un mot ? Le chancelier, du moins, aurait dû m’en écrire. Il est bien négligent, ma chère, votre ami L’Hospital ! Je l’ai pris sur votre foi, il me doit tout… mais il a si peur de ses maîtres, qu’à peine ose-t-il me parler. Ah ! j’ai hâte de dire à tout ce monde ce que j’ai sur le cœur. À quelle heure attend-on le roi ?

Mme  DE MONTPENSIER.

Je ne sais, madame.

LA REINE-MÈRE.

Est-ce encore un mystère ? N’y a-t-il dans cette maison personne qui puisse nous le dire ? J’entends aller, venir ; qui sont tous ces gens-là ?

Mme  DE MONTPENSIER.

Ce sont des ouvriers qui disposent les logemens du roi.