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ductions. Le budget de l’agriculture et du commerce, soutenu avec fermeté par M. Buffet, a été plus épargné. Encore M. Marcel Barthe et M. Alcan auraient-ils voulu mettre des teinturiers et des potiers à la place de nos artistes des Gobelins et de Sèvres. L’assemblée nationale n’a pas osé suivre ces sévères démocrates dans leur antipathie pour les traditions et les monumens de la royauté ; elle n’a pas jugé que le noble luxe de pareils établissemens fût une superfétation parasite dans la France républicaine. Ce jugement honore l’austérité de M. Barthe et de M. Alcan, mais rien que leur austérité.

Où il faut voir encore le singulier esprit qui anime la majorité de l’assemblée, c’est dans la discussion de la loi sur les clubs. Le ministre de l’intérieur proposait de les interdire franchement et d’un seul mot ; la commission formulait un contre-projet, qui, sans prononcer l’interdiction absolue, embarrassait encore davantage l’exercice du droit. Il était évident que la commission tenait plus à ne pas ressembler au ministère qu’à le combattre : elle ne voulait pas dire comme lui que les clubs étaient proscrits, parce que c’était un langage de réactionnaire ; mais elle se passait presque à elle-même la chose, moins le mot. Là-dessus, grands écarts des excentriques : M. P. Leroux, par exemple, annonçant au ministère qu’on attire la colère céleste sur la France pour n’avoir pas sauvé les précieuses têtes des assassins du général Bréa ; puis, pour noyer ces épisodes, les interminables discours des avocats, de M. Favre, de M. Crémieux. M. Favre doit y prendre garde : il ne lui faut encore que quelques discours pour que l’élégance de sa faconde soit complètement discréditée par la monotonie de sa récitation, par l’uniformité de ses tremblemens nerveux, par la divulgation de ses procédés oratoires, qui ne cachent déjà plus assez le vide de son talent. Ce talent n’a presque plus de mystères, et il ne reste de mystérieux chez M. Favre que le mobile secret des erremens politiques qui le jettent successivement à la tête de tous les partis. Nous lui devons bien nous-mêmes quelques actions de graces pour le zèle avec lequel il s’unissait hier à M. Bixio dans l’intérêt du gouvernement. Quant à M. Crémieux, Dieu merci, nous ne lui devons rien : ce n’est pas sa faute s’il n’est point sorti quelque tempête de toute cette avocasserie dans laquelle il s’est complu à propos des clubs. Une majorité assez faible, il est vrai, avait adopté l’article 1er  de la loi : « Les clubs sont interdits ; » restaient encore à débattre toutes les précautions par lesquelles la minorité de la commission, substituant un nouveau projet au projet moins conciliant de sa majorité, s’appliquait à sauvegarder l’exercice légal du droit de réunion. M. Crémieux, rapporteur de la majorité de cette commission qui avait ainsi échoué devant le scrutin, s’est avisé de jouer au Jupiter tonnant ; il a pris au bond le vote de la veille pour déclarer que l’interdiction des clubs violait la constitution de la république, et, avec ses fidèles de la commission (les fidèles de M. Crémieux !), il s’est retiré sur l’Aventin. Il a été plus loin : il a imaginé d’inviter à le suivre, non plus seulement la majorité de la commission, mais la minorité de l’assemblée, et peu s’en est fallu que la retraite momentanée d’une partie des représentant ne rendit toute délibération impossible. M. Crémieux s’est encore un instant peut-être retrouvé dans ses émotions et dans ses jouissances du lendemain de février. Le pauvre type que tant d’impuissance vaniteuse réunie à cette turbulence puérile ! Quel « caractère de ce temps, » si nous avions un La Bruyère ! L’audace de M. Crémieux lui a semblé bientôt excessive à lui-même ; il est rentré dans son naturel. En même temps le bon sens général prévalait