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proclamer une restauration classique, pour arriver à émietter la tragédie en menues causeries néo-romaines ? La grande actrice ne pourrait-elle pas exercer sur notre théâtre une plus salutaire influence ? Les écrivains qui occupaient la première place lors de son avènement, et qu’elle n’a su ni attirer ni retenir, ne pouvaient-ils pas, avec un peu de bonne volonté réciproque, lui donner mieux que ce Moineau de Lesbie ? Comment expliquer cette complaisance pour les faibles et ce dédain pour les forts ? Est-ce pour être seule à triompher ? Faut-il croire que Mlle Rachel, qui partage ordinairement avec Corneille et Racine, n’a voulu cette fois partager avec personne ? Le calcul serait plus subtil que classique ; il s’accorderait mieux avec une vanité puérile qu’avec les vrais intérêts de l’art. Quoi qu’il en soit, de semblables pièces maintiennent le théâtre dans une voie funeste, et il est triste de voir les jeunes gens s’adonner à cette espèce d’énervement dramatique. Parce que le drame moderne avait abusé des grands moyens pour obtenir les grands effets, parce qu’on y signalait trop de complications et de surprises, voilà l’école dont je parle ne trouvant plus rien d’assez uni, d’assez léger et d’assez mince. Point de tissu, si impalpable qu’il soit, qui ne lui paraisse encore trop solide pour y dessiner ses broderies. Point d’ivoire, si pâle qu’il puisse être, qui ne lui semble d’un ton trop vigoureux pour la débile pâleur de ses figures. Les héros du drame criaient un peu trop fort ; nos auteurs chuchotent. Ce n’étaient alors que grands coups d’épée et gigantesques aventures ; maintenant l’on ne voit que petites péripéties de salon, murmurées à voix lasse entre deux tasses de thé. Enfin, le poison y coulait à pleins bords ; aujourd’hui ce ne sont que flacons d’essence s’exhalant à travers de frêles et délicats hémistiches. La réaction, si c’en est une, est vraiment excessive.

Pendant que le Théâtre-Français, à qui on saurait tant de gré d’un généreux effort, d’une tentative originale, fait si peu pour retenir le public d’élite qui ne demanderait qu’à lui apporter son concours et ses bravos, nous avons vu un autre théâtre, dans des conditions bien plus défavorables et des circonstances bien plus difficiles, lutter jusqu’à la fin, et arriver au port sans trop d’encombre, Les dernières représentations des Italiens ont été fort belles et fort suivies, malgré la défection de Mlle Alboni. Don Pasquale nous a rendu Lablache, dont la colossale figure est admirablement encadrée dans cette bouffonnerie charmante, où Donizetti a su si bien unir la gaieté et la mélodie. Dans le troisième acte de Maria di Rohan, Roncani s’est élevé aux plus grands effets tragiques sans que l’expression musicale y perdît rien de sa beauté et de sa justesse. Enfin, Morianis a joué deux fois Gennaro de Lucrezia Borgia. Nous avions entendu Moriani il y a trois ans ; alors, comme aujourd’hui, c’était un virtuose consommé, que nul ne saurait surpasser dans l’art de ménager sa voix, d’en déguiser les inégalités par l’heureux emploi des demi-teintes, et de fondre en un harmonieux ensemble le chant et le drame, la mélodie et le sentiment. Ce qui manque à Moriani, c’est une voix fraîche et juvénile, c’est ce timbre d’or de Mario, dont rien ne remplace les intonations caressantes ; mais, si la voix s’effeuille, si les années en altèrent le velouté et la jeunesse, le style et l’art lui survivent, et Moriani est encore un des plus glorieux représentans de cette grande école italienne qui s’est brisée contre les gros cuivres de Verdi.

Ce soir même, pendant que Lucrezia Borgia terminait glorieusement les représentations des Italiens, l’Opéra-Comique, toujours en bonne veine, obtenait