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dans la société moderne, sur les vices de l’éducation, sur les relations des deus sexes, sur la prétendue infériorité des intelligences féminines. Toutes ces questions, l’auteur les a déjà soulevées dans d’autres ouvrages ; il y rattache des tableaux et des images qui paraissent aussi lui être très familières, une surtout, celle de la gestation et de l’accouchement, qu’il n’aborde jamais sans une solennité quasi-sacerdotale, et comme s’il s’agissait, à chaque petite fille qui vient au monde, d’en faire une Valentia ou une Nélida. Ce souci de l’éducation ab ovo, cette préoccupation didactique de l’enfant avant sa naissance est un des traits distinctifs des écrits de Daniel Stern. Dirons-nous qu’il serait de meilleur goût de renoncer à cette littérature de sage-femme, et que Lucine n’a jamais, que nous sachions, figuré parmi les muses ? Nous aimons mieux reconnaître qu’à côté de ces images hasardées, de ces sophismes vieillis, de ces lambeaux de pédantisme philosophique et révolutionnaire, on rencontre, en quelques passages, la délicatesse et la distinction de la femme du monde, que n’ont pu encore entièrement effacer les prétentions au rôle de prédicateur et de pythonisse. Lorsqu’il consent à rester dans le domaine de l’observation ingénieuse et mondaine, Daniel Stern rencontre parfois d’heureux détails qui n’ont plus rien de commun avec sa science et ses doctrines d’emprunt. Contraste digne de remarque ! c’est en pensant et en écrivant comme il eût pensé et écrit avant d’être un écrivain et un penseur, que Daniel Stern mérite d’être lu : n’y a-t-il pas là toute une leçon ?

Après ces lectures, qui nous ramènent aux tristes conditions de notre époque, aux dispositions maladives d’un grand nombre d’esprits modernes, c’est un bonheur de revenir à l’art pur, à la littérature sérieuse. M. Nisard vient de publier le troisième volume de son Histoire de la littérature française. Ce volume comprend le siècle de Louis XIV. Aucun sujet ne pouvait mieux convenir à ce talent sage, un peu austère, qui, dans les lignes de son style comme dans les allures de son enseignement, conserve quelque chose de la rectitude et de la grandeur des traditions qu’il recueille. M. Nisard a groupé les principaux écrivains de ce siècle immortel dans une sorte de tableau collectif où les figures ont entre elles un air de famille, et qui nous donne l’idée la plus juste et la plus nette de ce glorieux moment où l’esprit français, arrivé à son apogée, sut réaliser l’inestimable alliance de l’extrême bon sens avec l’extrême génie. Les études de M. Nisard sur Racine, sur Molière, sur La Fontaine, ses appréciations de Bossuet et de Fénelon, sont des modèles de cette critique pénétrante qui, sans se laisser dérouter par des préoccupations de système ou d’école, va droit à l’homme et au livre, les interprète l’un par l’autre, trouve dans ces textes inépuisables le sujet de remarques nouvelles sur le cœur humain, sur les replis cachés de l’ame, sur les fibres mystérieuses que sollicite ou interroge la main des poètes, sur tout ce qui compose cette harmonie, cette beauté, cette justesse, titres impérissables des hommes du XVIIe siècle. Quel siècle en effet, quels hommes et quelles œuvres, pour qu’après deux cents ans d’études et de commentaires un esprit judicieux puisse encore agrandir et rehausser son rôle littéraire rien qu’en nous montrant pourquoi ces écrivains dont il parle sont si hauts et si grands ! Ah ! ne nous y arrêtons pas trop ! Nous ressemblerions à ces gens ruinés qui se dédommagent en énumérant les richesses de leurs ancêtres !

Cette critique ingénieuse, qui procède par une analyse délicate et attentive,