Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les doctrines démagogiques, il légalise, pour ainsi dire, et consacre les convoitises de l’ignorance et de la pauvreté au nom des vices de la richesse et de l’intelligence ; il faut qu’il reconnaisse qu’on peut tout aussi bien mettre le feu avec un cierge qu’avec une torche, et que l’incendie qui en résulte n’est ni moins dévorant ni moins funeste.

Dans quelle catégorie rangerons-nous les Esquisses morales et politiques de Daniel Stern ? Faut-il les compter parmi ces productions orageuses où se reflètent les époques agitées ? L’auteur se l’imagine peut-être ; mais nous, nous ne pouvons voir dans ce livre que le prétentieux effort d’un esprit frivole qui pense, comme dit Sganarelle, que tout soit perdu, s’il ne fait un peu parler de lui. Le rôle d’Égérie révolutionnaire, de sectaire philosophique et social, n’est pas donné à tout le monde. Il est des ames puissantes dans le sophisme et vigoureuses dans le mal, à qui conviennent les atmosphères chargées d’éclairs et de tempêtes. Portant en elles je ne sais quelle prédestination douloureuse et fatale, les idées subversives ou coupables qu’elles propagent semblent un tribut payé à leur propre nature. Elles couvrent des séductions de leur talent la route dangereuse où se fourvoient, sur leurs pas, les imaginations inquiètes. Loin de nous l’envie de les absoudre ; mais enfin, dans ce mélange de grandeur et de misère, d’erreur évidente et de mystérieux attrait, dans ces œuvres d’une poésie factice et malsaine, servant de commentaires et de pièces justificatives à une vie désordonnée, il y a un type, un idéal où la vanité peut se complaire. L’important, pour y atteindre, est de ne copier personne, de ne pas mettre du plagiat dans son paradoxe, de ne pas arranger son désordre d’après certains modèles auxquels on se garde bien d’emprunter ce qu’ils ont d’original et de naturel. C’est, hélas ! l’histoire de ces ames que j’appellerai secondaires, satellites incessamment tourmentés du désir de devenir planètes, et dont la lueur blafarde n’est que le reflet d’autres flammes et d’autres lumières. Celles-là ont beau s’évertuer à ne ressembler ni aux autres, ni à elles-mêmes, à respirer un air insolite, à écrire des choses étranges, à épaissir autour de soi les ombres de la philosophie allemande, du socialisme ancien et moderne, d’une sorte de poésie mystique, de culte indéfini dont elles se feraient volontiers les prêtresses : rien ne leur réussit ; leur médiocrité primitive perce à travers les voiles d’or et les bandelettes sacrées ; leurs sophismes n’émeuvent personne ; les coups de lance qu’elles portent aux vieilles doctrines, protectrices de la société, de l’ordre et de la famille, s’amortissent et sonnent creux, comme si ce fer étincelant n’était qu’un frêle roseau. Ces pauvres Clorindes de la révolution, du socialisme et de la révolte n’ont pas mesuré leur tâche à leurs forces : sans cesse leur cheval les désarçonne, et leur armure les écrase.

Malgré nous, ces réflexions nous reviennent à l’esprit chaque fois que nous ouvrons une production nouvelle de Daniel Stern. Ses Esquisses morales et politiques sont à la hauteur de son Essai sur la Liberté. Nous ignorons ce qu’il y a là de politique et de moral ; ce que nous savons, c’est qu’on chercherait en vain dans ces pages une idée neuve, et que les citations empruntées à Kant ou à Hegel ne rendent le livre ni plus profond ni plus sérieux. L’allemand est pour les Philamintes contemporaines ce qu’était le grec pour celles de Molière ; passons-leur cette prédilection innocente : elles ne touchent pas d’assez près à l’esprit français pour qu’on craigne de les voir l’entacher de germanisme ! Nous retrouvons dans ces Esquisses morales d’éternelles redites sur le rôle des femmes