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Quoi qu’il en soit, les folies socialistes et communistes ont trouvé un critique aussi judicieux qu’érudit dans la personne de M. Sudre, auteur d’une Histoire du Communisme. M. Sudre ne prouve pas à ses antagonistes qu’ils sont morts ; mais, ce qui vaut mieux, il leur prouve qu’ils vivaient en d’autres temps, sous d’autres noms, cachant sous d’autres formules les mêmes absurdités, et qu’au lieu d’être une phase nouvelle dans le développement progressif et continu de l’humanité, le communisme est tout simplement un nouvel accès d’une maladie déjà connue. On a dit souvent qu’il n’y avait qu’une manière d’avoir raison, qu’il y en avait plusieurs de se tromper ; cela est vrai sans doute, et pourtant, même dans l’erreur, que de rapprochemens et d’analogies ! Que de fois l’esprit humain, en se croyant novateur, n’a fait que retrouver un ancien sillon, souvent repris, souvent abandonné ! Voilà ce qui ressort très nettement du livre de M. Sudre. Ses recherches ont un autre avantage : en nous montrant le germe et l’origine du communisme dans certaines législations, certaines philosophies antiques qui ne nous apparaissent qu’à travers l’idéal de nos enthousiasmes de collége, et que nous sommes parfois tentés de glorifier pour l’amour du grec et du latin, elles nous apprennent à nous rendre un compte plus précis et plus sévère des notions du vrai et du faux, du bien et du mal, que l’histoire fait passer sous nos yeux, et à nous laisser moins séduire par ces prestiges que le lointain, les noms illustres, les œuvres de génie, les souvenirs de la Grèce ou de Rome exercent sur les esprits les plus solides.

C’est encore bien près des régions où s’agitent les problèmes du socialisme que nous rencontrons le nouvel écrit de M. Veuillot : L’Esclave Vindex. Sous la forme piquante d’un dialogue entre cet esclave, dont la statue en bronze est dans le jardin des Tuileries, et le marbre du Spartacus placé à quelques pas, M. Veuillot résume à sa façon la lutte des satisfaits et des mécontens dans cette longue et ardente guerre de ceux qui n’ont pas et qui veulent avoir contre ceux qui ont et qui voudraient garder. Le champ est large, et l’auteur y a moissonné une foule de bonnes vérités, de rudes épigrammes. Jamais peut-être il n’avait été si bien servi par son style incisif et mordant dont nous avons souvent reconnu la saveur âpre et saine. Tout en constatant les qualités de cet écrit, tout en avouant que les argumens de M. Veuillot sont de bonne guerre et ses armes de bonne trempe, doit-on conclure que ses conclusions rigoureuses soient sans danger dans un temps comme le nôtre ? Nous ne le croyons pas. Aux yeux de M. Veuillot comme des autres écrivains catholiques, il n’existe pas d’autre frein, pour les passions du pauvre comme pour celles du riche, que la loi religieuse, et le riche qui ne l’observe pas n’a pas le droit d’exiger du pauvre qu’il l’observe ; l’homme du monde qui ne demande à la vie que les jouissances d’un matérialisme pratique n’a pas le droit de s’étonner ni de se plaindre si le prolétaire, poussé par le même mobile, s’efforce de lui arracher ces jouissances ou de les partager avec lui, fût-ce au prix de mille combats et de mille morts. Rien de plus juste assurément que cette donnée ; mais est-il opportun d’en faire le catéchisme d’une époque révolutionnaire, alors que tant de haine, d’envie et de colère s’acharne contre les distinctions de rang et de fortune ? Aujourd’hui, selon nous, l’écrivain religieux a mieux à faire : au lieu d’envenimer les plaies, il faut qu’il les adoucisse et qu’il les apaise ; il faut qu’il se dise qu’en signalant ainsi l’impuissance des riches d’esprit ou d’argent à arrêter l’élan imprimé aux masses