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Charles-Albert pouvait-il avoir un instant de doute et se demander de quel côté étaient ses véritables amis ? Devait-il copier la conduite du grand-duc de Toscane ? Le roi de Piémont, s’est trouvé alors dans une situation exactement semblable à celle du roi de Prusse au mois de novembre dernier. La chambre actuelle, produit d’une erreur et d’une intrigue, n’était point la véritable expression du pays. Appuyé sur l’opinion, qui s’exprima en vingt-quatre heures par vingt-six mille signatures à Turin, sûr de l’armée, que les avocats avaient depuis quelque temps mécontentée, Charles-Albert devait risquer le coup d’état qui a réussi à Frédéric-Guillaume. Un nouveau cabinet eût été formé, dans lequel M. Gioberti se fût adjoint des hommes tels que MM. Balbo, Pareto, d’Azeglio, qui ont donné des gages à la cause libérale, et sont, par leurs opinions bien connues, le trait d’union entre l’ancien régime et la bourgeoisie ; ce cabinet modéré aurait fait à son tour ses élections, et cela probablement sans qu’on fût obligé, pour balancer le tiers-état, de recourir au suffrage universel, un peu trop conservateur en Piémont. Charles-Albert ne l’a point osé. Ce prince s’est toujours montré timide, partout ailleurs qu’en face des canons autrichiens. Si l’on en croit son entourage, il avait en outre le défaut commun à beaucoup de têtes couronnées, celui d’aimer à mystifier les gens, à leur faire tordre le museau, disait-il. Il gardait une vieille dent à M. Gioberti ; cela datait de loin. Enfin l’expédition de Toscane, en éloignant la guerre contre l’Autriche, l’avait indisposé. Charles-Albert était toujours avec ceux qui lui promettaient la guerre immédiate et lui faisaient voir la couronne de fer au bout. Pour pouvoir entrer en campagne, il eût fait alliance avec M. Mazzini ; on comprend qu’à bien plus forte raison il se soit entendu avec MM. Sineo, Ratazzi, voire avec MM. Valerio et Brofferio, le tribun radical qui veut la république, mais la république fédéraliste, ce qui ajoute une nouvelle nuance aux partis qui divisent cette malheureuse Italie.

M. Gioberti est tombé glorieusement. Sa chûte ne peut qu’accroître son influence et l’autorité de sa parole. Autour de lui se rangeront comme avant tous ceux qui espèrent et ont foi en l’avenir de l’Italie, quelles que soient les tristesses du présent. « Nous avons voulu aller trop vite, disait naguère l’infatigable M. d’Azeglio, l’expérience nous servira : du courage, et recommençons. » Lui du moins n’a pas de reproches à se faire. Quant à M. Gioberti, à peine avait-il quitté les affaires, qu’il s’est mis à fonder un journal, le Saggiatore (l’Essayeur), et en a lancé le prospectus, dans lequel il explique et justifie par des raisons très concluantes le système d’intervention au moyen duquel il prétendait faire faire au Piémont la police de la péninsule, et, la débarrassant de cette lèpre mazzinienne qui la ronge, préparer par une solide union son indépendance future[1]. Puis, s’en prenant à la jeune Italie, l’ardent écrivain fait contre elle et contre son chef une sortie furieuse qui résume avec une verve, un feu, un entrain incroyables toutes les accusations que nous venons d’énumérer. « Il faut pourtant, dit-il, que tout le monde sache que Joseph Mazzini est le plus grand ennemi de l’Italie… De quel mérite peut-il se vanter si ce n’est d’une obstination incroyable dans ses folies, qui ont mené droit à sa ruine notre malheureuse patrie ? Quels sont ses titres ? Une ignorance profonde des hommes et des choses, une impéritie complète, une politique puérile, un mysticisme ridicule. L’expédition de Savoie et les

  1. Il Saggiatore, discorso proemiale per Vincenzo Gioberti. Torino, 1849.