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que pourrait faire la noblesse, et même, par droit de représailles, d’empiéter un peu aussi sur son terrain. C’est pourquoi ce titre de ministère démocratique, qui n’avait aucun sens en Toscane et à Rome, était très significatif en Piémont. Nous ne voulons pas dire que la bourgeoisie piémontaise en masse soit républicaine ; il nous semble seulement qu’avant tout elle jalouse la noblesse, craint le clergé, redoute un retour d’influence des deux classes autrefois privilégiées, et se trouve dans des dispositions telles qu’il ne faudrait peut-être pas de grands efforts pour ébranler sa foi constitutionnelle.

Dans la première chambre des députés, élue l’été dernier, les avocats étaient en minorité. Le centre et la droite étaient occupés par la noblesse et les campagnards, tous conservateurs. Les avocats suppléèrent au nombre par l’audace et l’activité, et s’agitèrent tellement qu’ils parvinrent à dépopulariser le ministère Pinelli. L’accusation capitale qu’ils lui jetaient, c’était d’avoir accepté l’armistice Salasco et de ne pas vouloir faire la guerre ; c’était une manœuvre analogue à celle des exaltés de Florence et de Rome. Réduits à eux-mêmes, les avocats n’avaient pas parmi eux de notabilité assez considérable à porter à la tête d’une administration ; ils ne seraient donc pas parvenus à renverser le ministère Pinelli, s’ils n’avaient eu l’adresse de se placer sous l’égide du grand nom de M. Gioberti. M. Gioberti, depuis son arrivée en Italie, était circonvenu par eux, flatté, loué, caressé et trompé sur la véritable situation des hommes et des choses. Il existe à Turin un de ces hommes dangereux qui, avec un esprit, un savoir, un talent médiocres, possèdent un véritable génie pour l’intrigue : cet homme est M. Valerio, gérant de la Concordia. Il s’attacha à M. Gioberti, et, exploitant les susceptibilités de cet esprit altier et passionné, il le poussa aux démarches extrêmes qui ont amené la retraite du ministère Pinelli. Comment M. Gioberti n’aurait-il pas cru que le parti qui venait de se ranger sous ses ordres représentait véritablement le pays, lorsqu’à la suite de la dissolution de la chambre, les collèges électoraux, en lui donnant huit nominations, lui ont envoyé une chambre toute démocratique ? M. Gioberti ne savait pas, comme il l’a appris plus tard, de quelle façon s’étaient faites ces élections ; que c’était en se réclamant de lui plutôt que par leur propre influence que les candidats l’emportaient dans les collèges ; qu’il suffisait d’une recommandation vraie ou supposée du gran filosofo pour réunir tous les suffrages. C’est à peine si les noms chers à l’Italie de MM. Balbo et Azeglio purent passer ; encore est-ce à titre de codini que ces messieurs furent reçus à l’assemblée, où ils siégeaient à droite. « Me voici devenu codino, mes amis, disait M. d’Azeglio dans sa circulaire à ses électeurs de Strambino. Votre député, ce Massimo Azeglio qu’on pourchassait autrefois comme libéral exalté, vous revient aujourd’hui rétrograde, obscurantiste. Signez-vous, étonnez-vous, la nouvelle est peu réjouissante, mais la chose est telle, et savez-vous pourquoi ? Parce que je n’ai pas cru à la constituante, aux ministères démocratiques, aux frères de Livourne, au sacro pugnale et à tant d’autres nouveautés. »

Il y a de cela deux mois à peine, et aujourd’hui c’est M. Gioberti lui-même qui est devenu codino. On sait comment s’est fait ce brusque changement.

Avec la chambre nouvelle, créée par lui et toute à sa dévotion,}M. Gioberti se trouvait mis en demeure de réaliser son programme : à l’extérieur, la guerre immédiate ; à l’intérieur, la mise en pratique du gouvernement constitutionnel