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conquête de l’indépendance ajournée, inclinaient vers la portion exaltée du parti, laquelle se montrait alors très ardente à dénoncer la mollesse des gouvernemens et à demander qu’on tentât de nouveau le sort des armes. Pour le malheur de la cause, M. Gioberti se trouvait avec eux.

M. Gioberti a commis à cette époque une grave erreur, nous ne craignons pas de le dire, malgré l’admiration que nous professons pour lui, et précisément surtout à cause de l’estime, s’il se peut plus grande, que nous a inspirée la courageuse fermeté avec laquelle il est revenu sur ses pas. Parti de Paris peu après M. Mazzini, M. Gioberti fut reçu avec acclamations par l’Italie enthousiasmée, le voyage qu’il fit à Milan, Gênes, Florence, Rome et Bologne, fut un véritable triomphe. Sa popularité était immense alors, et s’il eût voulu faire la résistance qu’il a tentée plus tard, il est probable qu’il eût dominé la situation. Pour cela, il lui eût fallu, ce nous semble, nonobstant de légères dissidences, s’unir étroitement à ses anciens amis, aux conservateurs du parti libéral. Il se fût aidé de leur dévouement et de leurs conseils, qui ne pouvaient certes lui être suspects, et, de son côté, il les eût soutenus de son influence, encore intacte. Au lieu de suivre cette voie, M. Gioberti fit alliance avec les exaltés, avec le parti de la guerre immédiate. Était-ce pour ménager sa popularité ? On eût pu le croire alors ; mais la suite a montré que M. Gioberti en savait faire bon marché et avait l’esprit assez haut pour la sacrifier sans regrets à ses convictions. Esprit ardent et absolu en toutes choses, l’auteur du Primato pensait alors que la guerre devait être poussée à outrance, et, mécontent de voir les modérés opposer des délais à la reprise des hostilités, il s’éloigna d’eux sans se demander si l’ardeur intraitable que montraient ses nouveaux amis pour la guerre prenait sa source dans un vrai et sincère patriotisme, ou si ce n’était qu’une simple poursuite de portefeuilles.

Quoi qu’il en soit, la question de la guerre immédiate fut dès-lors posée entre les partis. Ceux qui repoussaient la guerre, au moins momentanément, passèrent pour mauvais patriotes, quels que fussent les gages antérieurs qu’ils avaient donnés ; ces réactionnaires reçurent le surnom de codini (porte-queue, perruques), lequel a eu une aussi grande vogue en Italie que l’épithète infiniment moins pittoresque inventée en France. Par contre, les libéraux avancés s’intitulèrent démocrates ; ils demandèrent la création de ministères démocratiques, et ils entrèrent de plus en plus dans cette voie dangereuse dont il semble que l’exemple de ce qui s’était passé chez nous eût dû les écarter. Là, comme ici, c’est une gauche imprévoyante qui a amené la république. Comme pour compléter la parodie, en Italie aussi, le tour s’est fait à l’aide d’un mot sacramentel : nous avions crié : Vive la réforme ! ils ont crié : Vive la constituante ! sans y voir plus clair que la garde nationale du 23 février.

En Italie, on a constamment et essentiellement besoin de crier quelque chose. Après avoir depuis deux ans successivement acclamé la réforme, la ligue, la constitution, Pie IX (hélas !) et tous les souverains, même le roi de Naples un instant, la mode était venue de crier vive la constituante ! La constituante de quoi ? À coup sûr, les clubistes en plein vent de Gênes et de Livourne, pas plus que les fortes têtes du Circolo romano, n’auraient su le dire. Était-ce une convention unitaire, une diète fédérale, ou simplement une assemblée élue dans chaque état pour élaborer une constitution particulière ? C’était un peu de tout cela. Jamais expression