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Mais à chacun sa part. Si les républicains achèvent en ce moment la ruine de leur pays, il est juste de reconnaître qu’ils n’ont pas été seuls à la préparer. S’ils sont parvenus à réaliser des desseins traités naguère d’utopies, ils ont dû une notable part de leur succès à leurs propres adversaires. En ceci, nous devons constater leur habileté. La république, se présentant à visage découvert, avait peu de crédit en Italie. Elle a donc usé de ruse, elle a pratiqué des intelligences dans le camp opposé, et a réussi à faire faire ses affaires par ceux-là même qui attaquaient son drapeau. « Je n’en veux pas, disait un jour à ce sujet l’infortuné M. Rossi, je n’en veux pas aux gens qui font leur métier ; mais je m’irrite et je m’indigne contre ceux qui ne savent pas faire le leur. » Ce mot peint toute la situation. Sous l’influence non avouée des révolutionnaires mazziniens, il s’est opéré en très peu de temps une confusion étrange entre les partis politiques nettement délimités jusqu’alors en Italie ; des compromis déplorables de noms et de doctrines, des coalitions imprévues, ont porté aux affaires les hommes les moins faits pour s’entendre, et en définitive ont remis le pouvoir aux mains de ceux qui n’avaient d’autre mission que de le renverser. Comme toujours, il était trop tard lorsque l’imminence du danger a ouvert les yeux à ceux qui avaient servi d’instrumens à l’intrigue. C’est l’éternelle histoire des partis ; en l’esquissant pour Rome, pour Florence et pour Turin, nous courons risque de retracer nos propres erreurs.


I. – ÉTAT DES PARTIS APRÈS LA GUERRE.

Il y a dix-huit mois (on pourrait croire dix-huit années, tant les événemens se sont pressés dans cet intervalle), il n’y avait, à proprement parler, en Italie que deux partis : le parti rétrograde, qu’on nommait la faction austro-jésuitique ; peu nombreux, composé d’individualités médiocres, mais puissant par la protection de l’Autriche et occupant toutes les avenues du pouvoir ; en face de lui, l’école libérale, qui ralliait autour de M. Gioberti tout ce que l’Italie renfermait d’esprits d’élite, tout ce qui voulait le renversement de la suprématie exercée directement ou indirectement par l’Autriche sur les divers états de la péninsule. Quant au parti républicain, il formait une imperceptible minorité ; il était presque tout entier dans l’émigration. Le souvenir de ses fautes et des maux qu’il avait tant de fois attirés sur l’Italie ne contribuait pas à grossir le nombre de ses adhérens et servait merveilleusement l’intelligente propagande organisée par M. Balbo et d’Azeglio au profit des idées modérées. M. Mazzini était le chef et la seule expression remarquable de cette opinion. Plus d’un nom illustré plus tard par maint exploit démagogique comptait alors dans les rangs de l’école libérale. M. Sterbini était constitutionnel, M. Montanelli se glorifiait du titre de disciple de Gioberti. Le triumvir actuel de Florence, partisan déclaré de l’indépendance et de la guerre, comme tous les libéraux, n’avait pas, à beaucoup près, une opinion aussi arrêtée sur les questions de liberté intérieure. Il s’arrêtait à la réforme et à ce qu’on appelait les institutions consultatives ; il combattit même, dans le temps, les novateurs qui réclamaient des formes parlementaires et une constitution. Ce dernier mot lui semblait pour le moins imprudent et entaché d’une origine française révolutionnaire qui effarouchait son ultramontanisme. Quantum mutatus ab illo !