Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il faut se conduire en chrétien avec toutes les choses du bon Dieu.

Je fus frappé de ces dernières paroles qui commentaient, pour ainsi dire, mes propres pensées, en faisant du monde fantastique l’invisible gardien de la morale dans le monde réel. Je demandai à la grand’mère si les traditions ne parlaient point de gens punis, par certains esprits, de leurs bons procédés.

— Jamais, répondit-elle ; les plus mauvais s’en vont en grondant quand ils trouvent un brave cœur, et ils ont coutume de dire qu’ils sont trop bien gardés pour eux. Il y en a même qui ont de bons mouvemens. Un jour, le Goubelino, qui était déguisé en mendiant, demanda une poignée de sel à un saulnier, et, comme celui-ci lui en donna trois au nom de la Trinité, le Goubelino toucha les clochettes de la maîtresse-mule, qui se changèrent aussitôt en clochettes d’or. Puis il y a les bonnes filandières, qui font des dons de richesse et prennent les enfans sous leur protection. De mon temps, elles ont enrichi plus d’une famille ; aussi les pauvres gens les attendaient toujours, et ça rendait leur pain noir moins dur.

— Hélas ! pourquoi donc, grand’mère, ne les voit-on plus ? dit Toinette d’un accent plaintif.

— Les fades ont l’ame fière, répondit la fileuse ; elles ne se montrent qu’à ceux qui les appellent avec confiance de cœur. Et comme on ne croyait plus en elles, la plupart ont quitté le pays avec leurs maris, les farfadets.

— Et cependant il nous en reste un, fit observer Toinette.

La vieille étendit la main avec une sorte de solennité.

— Tant que mère-grand habitera le Lion-Rouge, dit-elle, les esprits viendront la voir ; mais, quand ils auront entendu le marteau clouer son dernier lit, tous partiront avec leur vieille amie.

À ces mots, elle redressa sa quenouille, et le rouet recommença à faire entendre son ronflement monotone. Je regardai mon compagnon.

— Elle ne dit que trop vrai, repris-je ; les vieilles générations emportent, en disparaissant, toutes les naïves croyances du passé, sans qu’il nous soit permis d’y substituer les rêves de l’avenir. Je viens de traverser les campagnes, et partout on m’a montré des grottes qu’habitaient autrefois les lutins ou les fées, en m’affirmant que leurs entrées se rétrécissaient chaque année, et que bientôt elles seraient closes pour jamais. N’est-ce point une symbolique prophétie, et la tradition populaire elle-même ne semble-t-elle pas annoncer que la porte des illusions, ouverte jusqu’ici sur le monde, se referme lentement ? Hélas ! que vont devenir nos générations d’essai entre cet antique soleil qui se couche et ce jeune soleil qui n’est pas encore levé ?

— Elles feront comme nous, reprit le Provençal, elles attendront