Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à notre destinée. Brisez les grossières statues, il le faut ; mais, pour Dieu ! respectez ce qu’elles traduisaient imparfaitement.


III. – LA FÉE DU LION-ROUGE.

La grand’mère n’avait rien entendu de l’histoire du Drak racontée par le Provençal, et elle était retombée dans son silence automatique. Ce qu’elle avait dit des lutins me prouvait que l’âge n’avait point effacé de son souvenir les traditions du pays, et qu’en l’interrogeant, je pourrais beaucoup apprendre. Déjà, plusieurs fois, j’avais fouillé avec fruit dans ces mémoires à demi éteintes, comme dans de vieilles éditions lacérées par le temps ; mais je ne pouvais lui adresser de questions que par l’entremise de sa petite-fille, et celle-ci venait de nous quitter, attirée par les cris du nouveau-né, qui occupait avec sa mère une chambre dont nous n’étions séparés que par une petite cour. Je la vis bientôt revenir avec des langes qu’elle suspendit au foyer. La fileuse lui demanda des nouvelles de l’accouchée.

— Mère va bien, dit Toinette ; mais elle donnerait une année de sa vie pour une heure de dormir, et le petit frère crie comme un aigle.

— Apporte-le, dit la vieille femme, je l’accâlinerai dans mon giron.

— C’est inutile pour l’heure, mère-grand, dit la fillette ; il a pris le somme.

Et se tournant vers nous :

— Je ne dis pas que j’ai porté le berceau dans la chambre jaune, ajouta-t-elle en souriant ; grand’mère aurait peur des méchantes fades qui viennent tourmenter les nouveau-nés.

Ceci me servit naturellement de transition pour prier Toinette d’interroger la fileuse sur les superstitions populaires du canton. La jeune fille transmit fidèlement mes questions ; mais les réponses de la vieille femme impatientée furent courtes. Mon compagnon, qui vit mon désappointement, haussa les épaules.

— Que Dieu vous bénisse ! dit-il ironiquement ; vous voulez tirer de l’huile d’un olivier mort.

— Ah ! vous croyez cela ? dit Toinette ; eh bien ! vous allez voir si la mère-grand ne se rappelle pas quand elle veut !

Et s’approchant de la fileuse comme elle l’avait déjà fait :

— Pas vrai que le monde n’est plus comme quand vous étiez jeune, mère-grand ? dit-elle d’une voix caressante.

La vieille hocha la tête et répondit par une exclamation plaintive.

Le Provençal se retourna.

— Sur mon honneur, la momie a soupiré ! s’écria-t-il.

— Ah ! c’était alors la bonne époque, reprit la jeune fille du même