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— Les pères ont expliqué que ce cerisier était la liberté des Allemands. Nous n’avons encore qu’un tronc desséché, mais j’espère bien ne pas mourir sans le voir pousser des feuilles et sans assister à la grande bataille d’expiation.

En France, où l’esprit d’insurrection est certes plus prononcé que de l’autre côté du Rhin, on chercherait vainement une pareille tradition. Chez nous, le peuple ne confie au conte que ses rêveries ; quant aux espérances possibles, au lieu d’en faire des fables, il les traduit résolûment en actions. La fantaisie allemande côtoie toujours la vie pratique ; elle se donne, par la précision des détails, un air d’authenticité. Le conte de nourrice ressemble à un document historique ; vous y trouvez souvent les noms exacts des nobles familles, le souvenir des grands événemens, une connaissance des mœurs, des fonctions, des lois, la date du fait et ses moindres circonstances. Le fantastique a enfin pris corps dans le réel. Chez nous, rien de pareil. Nulle observation des temps, des personnes ni des lieux. La scène de nos Mille et une Nuits se passe presque toujours au milieu d’une contrée sans nom, entre des personnages qui n’ont point vécu. On n’y trouve jamais ce charme que donne l’apparence de la vérité, et nous ne croyons pas assez à nos jardins féeriques pour y faire éclore la fleur de naïveté qui embaume les traditions germaniques. Aussi nos superstitions, qui sentent le badinage, se sont-elles bien vite effacées dans nos villes et jusque dans nos bourgades : à peine ont-elles survécu dans les campagnes : là aussi le temps les emportera. Plein d’un respect religieux pour la marche providentielle des sociétés, nous n’accuserons pas le siècle, qui a fait son devoir en passant le soc sur ces ruines et y semant le sel comme les conquérans antiques ; nous savons que les arbres doivent laisser tomber leur couronne de fleurs quand vient la saison des fruits ; mais, tout en acceptant ce qui s’accomplit comme bon et juste, nous ne pouvons nous empêcher de demander tout bas quel sera le sort réservé à certains instincts qui trouvaient naturellement à se satisfaire dans ce monde détruit. Quand on aura ôté aux hommes leurs rêves pour les soumettre au seul régime de la raison positive, est-il sûr que beaucoup d’entre eux ne trouveront point le pain dont on les nourrit un peu fade et bien dur ? N’est-il pas à craindre même qu’ils ne s’y accommodent qu’à la condition de quelque appauvrissement de leur nature ? Certes, nous ne demandons pas qu’on leur conserve la croyance aux revenans, aux magiciens, aux lutins et aux fées ; mais devront-ils perdre en même temps les aspirations immortelles, le besoin de protection en dehors du monde sensible, le sentiment que la création entière est liée à nous par d’invisibles influences ? Si vous leur ôtez la superstition, apprenez-leur la vraie foi, car, ne vous y trompez point, les croyances populaires n’étaient que les symboles obscurcis d’aspirations et d’espérances inhérentes