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l’homme sauvage ; dans le reste de la France, saint Hubert ou le veneur Caïn.

— Parbleu ! m’écriai-je en riant, je serais curieux de voir une fois par moi-même la chasse des fantômes ; malheureusement je n’entends ni son de cor, ni tayauts.

— Écoutez ! interrompit le postillon à demi-voix.

Les aboiemens des chiens étaient devenus plus distincts ; il s’y mêlait un battement sourd et régulier que je ne pus définir au premier instant, mais que je reconnus ensuite pour le galop d’un cheval sur la neige durcie. Nous nous trouvions alors dans un lieu bas et marécageux, au pied d’une colline dont la croupe arrondie se dessinait à peine dans la nuit. L’attelage, qui marchait librement devant nous, s’était arrêté et reniflait l’air avec inquiétude ; bientôt nous le vîmes s’effaroucher et retourner en arrière. Au même instant, une vague forme de cavalier poursuivi par deux chiens parut à mi-hauteur du coteau, passa comme emportée sur les flocons de neige et disparut presque aussitôt.

Le Provençal et moi, nous nous regardâmes avec surprise. Quant à notre guide, il était collé contre le cou de l’un de ses chevaux qu’il venait de ressaisir, les mains crispées sur les guides, la figure effarée et les jambes vacillantes.

— Quelle diable de vision est-ce là ? demanda mon compagnon ; avez-vous reconnu le cavalier, postillon ?

— C’est toujours lui ! balbutia notre guide, c’est le Goubelino ! mais, cette fois, il est en chasse.

— Pardieu ! j’aurais dû alors lui demander de son gibier, dit le Provençal en riant.

Le postillon secoua la tête.

— Peut-être bien qu’il vous en eût donné, répliqua-t-il en débrouillant d’une main mal assurée les traits de son attelage ; les gens du pays disent qu’on n’a qu’à crier : Part à la venaison ! pour voir tomber un quartier de chair humaine, et une fois que le chasseur vous l’a envoyé, il n’y a plus à s’en débarrasser ! Qu’on aille le cacher sous la terre, dans un puits ou au fond de la mer, il retourné toujours de lui-même se suspendre à votre croc jusqu’au neuvième jour, où le veneur vient le reprendre.

Je reconnus la croyance recueillie par les frères Grimm en Allemagne, et par Walter Scott dans le royaume-uni. Aucune superstition n’avait peut-être, en Europe, le même caractère de généralité, parce qu’aucune n’avait eu la même raison d’être. C’était comme une protestation de la conscience populaire contre un des droits les plus oppressifs des siècles de servage. Si le patricien de Rome jetait autrefois les esclaves vivans aux lamproies des viviers, le seigneur du