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la tête au dehors. Le postillon était debout sur son marchepied, retenu de la main gauche à la courroie, le bras droit levé et tout le corps penché en avant, comme s’il eût suivi du regard quelque chose qui venait de disparaître dans la nuit. Je l’appelai.

— L’avez-vous vu ? s’écria-t-il en se retournant vers moi avec une expression de surprise et de terreur.

— Qui cela ?

— Le Goubelino !

Je dis ce que j’avais aperçu.

— C’était lui ! répliqua le postillon. J’avais toujours cru que les vieux se gaussaient de nous ; mais, à cette heure, je l’ai vu : il montait son cheval blanc, et, quand il a passé, j’ai senti le frisson sous ma peau de brebis. Ceux qui craignent la froidure n’ont qu’à se cacher cette nuit, car l’haleine gèlera entre la barbe et les lèvres.

Je demandai des détails sur le Goubelino, et j’appris que ce nom était donné à un dont l’apparition servait d’avertissement. On le voyait changer de forme selon ce qu’il avait à prédire. Il parcourait les campagnes, à cheval sur une loutre de rivière, pour annoncer des inondations ; dans un chariot mortuaire, si quelque maladie menaçait le pays ; à pied et la besace sur l’épaule, lorsqu’il prévoyait quelque grande famine. On l’avait même vu apparaître pour prévenir des particuliers du sort qui les attendait. Un médecin d’Achy le trouva un jour à l’embranchement du chemin, vêtu de noir et une bêche sur l’épaule.

— Que fais-tu là, Goubelino ? lui demande-t-il.

— J’ai voulu te voir encore une fois, répondit le .

— Me reste-t-il donc si peu de temps à vivre ?

— Seulement ce qu’il m’en faudra pour te creuser une fosse.

Le médecin se mit à rire, et, au lieu de profiter de l’avertissement pour faire sa paix avec Dieu, il poussa son cheval en avant ; mais à une demi-lieue de là, comme il voulait passer le gué d’Herbouval, sa monture perdit pied et se noya avec le cavalier.

Le postillon ajouta que nous allions arriver à un pont où le Goubelino tenait, disait-on, ses grandes soirées avec les fades et les lutins du pays. J’avais déjà trouvé sur la Dive la fée du pont Angot, étendant les linceuls qu’elle lavait chaque nuit ; à Bayeux, la dame d’Aprigny, dansant devant la planchette destinée à traverser le ruisseau ; sur toutes les rivières du Maine, de l’Anjou, de la Saintonge, de l’Orléanais et du Berry, les Milloraines, les Blanches Mains, les Fadettes ou les Demoiselles, gardant les moindres passages ; car une croyance commune à toutes nos provinces semble avoir mis sous la garde d’êtres merveilleux ces étroits défilés. Dans la croyance villageoise, les ponts, bâtis par la prière des saints ou par la puissance du démon, se rattachent toujours à quelque miraculeuse origine. On les retrouve, comme moyen d’épreuve,