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nouvelle. Cette affaire de ménage disparaît devant l’importance de l’événement : le royaume du Pandjab, objet de tant de convoitise, a été mis, par la défaite des Sykhs, aux mains de l’Angleterre, et elle prétend bien le dominer de fait et de droit, comme elle le dominait déjà par son influence. Le souverain du Pandjab est officiellement exproprié, et l’annexion de ce royaume aux possessions anglaises est proclamée. Les frontières de l’empire britannique en Asie sont donc portées à l’occident jusqu’à l’Indus. Les Afghans eux-mêmes, frappés de découragement à la vue de ce désastre des Sykhs, se sont repliés sur le Caboul, ayant eu pour toute fortune l’avantage de trouver le chemin libre dans leur retraite. Le gain est donc immense, quant à présent, pour l’Angleterre, puisqu’en lui donnant un vaste et riche territoire, la bataille de Goudjerat semble lui assurer la paix du côté des populations qui étaient encore capables de l’inquiéter.

Sur d’autres points de l’empire, les événemens ont moins d’éclat, sans manquer pourtant de gravité. Le mouvement libéral a pris une certaine vigueur dans quelques-unes des colonies, à la Guyane et dans l’Australie, que l’on songe à doter d’une constitution locale et de municipalités.

Au Canada, la rivalité des races, qui tant de fois a été un sujet de discorde, s’est de nouveau envenimée et a amené à la fin d’avril de la part des loyalistes, ou, si l’on veut, des Anglais, un soulèvement que la prudence et la fermeté du gouverneur, lord Elgin, n’ont point encore entièrement paralysé. Sur le premier moment, l’alarme a été grande, le pouvoir législatif a dû subir une sorte de 15 mai, le parlement a été incendié, les insurgés se sont vus quelque temps maîtres du terrain. La force publique a fini par reprendre le dessus ; mais, en cessant d’être violente, l’agitation est devenue constitutionnelle, et paraît devoir se prolonger. Le prétexte de tout ce bruit du parti anglais, c’est justement le vote d’une indemnité en faveur de ceux, pour la plupart Français, qui ont souffert de l’insurrection de 1839. Bien que la majorité du pouvoir législatif appartienne au parti anglais, puisque d’après les chiffres officiels le tiers à peine de la population est français, et que l’égalité des privilèges donne ainsi la prépondérance constitutionnelle à la race anglaise, le bill voté avait reçu la sanction de lord Elgin. Les factieux se sont soulevés au nom de la métropole, comme si ses intérêts eussent été sacrifiés au parti français. Le gouverneur n’en a pas moins tenu bon. Le ministère ne pouvait point le rappeler sans donner raison aux factieux contre les pouvoirs constitutionnels qui ont équitablement et légalement voté l’indemnité. Lord Elgin demeure donc à son poste pour faire respecter la loi. Tout en félicitant le gouvernement anglais de l’impartialité avec laquelle il appuie une politique équitable, on doit reconnaître que la rivalité des races au Canada est une vieille querelle qui ne finira pas de si tôt.

La Grande-Bretagne n’est point seulement la métropole de vastes colonies, elle exerce aussi en d’autres lieux cette sorte de suzeraineté, que l’on appelle en droit des gens protectorat, pouvoir difficile à définir et susceptible de se prêter à tous les abus. Telle est la situation faite à l’Angleterre, à l’égard des îles Ioniennes, par les traités de 1815. La propension naturelle et fatale du protectorat est de se transformer en domination réelle, en pleine souveraineté, de telle façon