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trême gauche de l’assemblée de Francfort, poussa tout à l’extrême. Cette assemblée, composée de 650 membres, avait déjà décidé qu’elle pourrait délibérer quand il y aurait seulement 150 membres. Comme la démission des membres du parti modéré réduisait encore le personnel de l’assemblée, elle décida qu’elle pourrait délibérer avec 100 membres seulement. S’exaltant à mesure qu’elle s’épurait, l’assemblée rompit aussi avec l’archiduc Jean, et elle décréta qu’elle se transporterait à Stuttgard. Le parti violent, en effet, ne compte pas beaucoup sur le nord de l’Allemagne : il compte sur le sud-ouest ; c’est là que règne l’esprit révolutionnaire. Il avait tenté un coup dans le nord, la révolte de Dresde et de Leipzig. Si ces deux révoltes avaient réussi, c’en était fait de la royauté en Allemagne. La république était partout proclamée.

Les événemens de Dresde n’ont pas été jugés en France comme ils devaient l’être. On les a considérés comme une insurrection locale, tandis qu’ils faisaient partie d’un plan général de révolution républicaine. Dresde et Leipzig ont toujours été en Allemagne, et sont surtout depuis la guerre de 1813, les champs de bataille des grandes luttes. C’était donc là que la république espérait gagner une grande bataille, et de là marcher sur Berlin. En Bade et dans le Palatinat, les victoires de la démagogie n’ont rien de décisif. Ce qui a fait que les événemens de Dresde ont été mal compris en France, c’est que nous nous étions habitués à croire que les Saxons étaient un peuple doux et éclairé qui aimait son roi. Oui, les Saxons sont un peuple doux et modéré ; mais ce ne sont pas les Saxons qui ont fait la révolution de Dresde, pas plus que ce ne sont les Romains qui ont fait la révolution de Rome. La démagogie a ses condottieri en Allemagne comme en Italie, qui vont combattre partout où la démagogie a un combat à livrer, et qui remplacent le vrai peuple des villes. Ces condottieri prennent habilement dans chaque ville le mot qui répond le plus aux passions populaires. Ainsi, à Dresde, l’insurrection a commencé au nom de l’unité de l’Allemagne c’est le mot, en effet, qui plaît à la foule ; mais sur les barricades qu’on élevait en criant : Vive l’unité de l’Allemagne ! le drapeau rouge était arboré. L’unité de l’Allemagne jouait à Dresde le rôle que la réforme avait joué à Paris le 24 février. Elle servait de prétexte et de drapeau.

Notre siècle a eu long-temps la prétention d’être le siècle de la discussion raisonnable ; mais la force brutale est bien en train de prendre sa revanche, et nous retournons peu à peu au moyen-âge, ou tout au moins au XVIe siècle, au temps où la politique commençait à mêler la controverse des paroles à la force des armes : nouveau témoignage de la ressemblance des fins et des commencemens. Ainsi à Dresde, pour échapper à l’armée que la démagogie pousse contre lui, le roi de Saxe se réfugie à Kœnigstein, une de ces vieilles forteresses féodales que les rois habitaient autrefois, qu’ils avaient quittées pour les palais des grandes villes ou pour les châteaux de plaisance, et qui, de nos jours, redeviennent un abri. En vérité, peut-être nous avons trop fait fi des ressources et des forces de l’ancienne politique. L’ancienne politique croyait aux châteaux forts, aux places de sûreté, à la force offensive et défensive en un mot. Nous avions changé tout cela, et nous croyions aux assemblées, aux délibérations, à la loi ; l’expérience de deux ans doit nous corriger déjà de beaucoup de nos dédains.

L’assemblée de Francfort désirait-elle le succès de la révolte de Dresde ? Assu-