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c’est-à-dire selon ce qui est possible et praticable. Les unitaires de Francfort ont toujours cru que l’unité de l’Allemagne était tout entière à créer, que rien ne s’était fait avant eux et que le nouveau monde germanique les avait attendus pour sortir du chaos. Grave erreur : l’unité morale de l’Allemagne existait ; l’unité des douanes et des monnaies se faisait de plus en plus ; l’unité de la législation civile était possible ; la difficulté était l’unité politique ; c’est de ce côté que les unitaires se sont précipités avec ardeur ; ils ont confondu l’unité avec la centralisation, et ils ont voulu créer un empire germanique. Or, pour créer un empire allemand, il fallait détruire l’Autriche, la Prusse, la Saxe, la Bavière, les grands et les petits états, tout ce que l’histoire avait fondé et consacré.

L’inconvénient des buts chimériques, c’est qu’ils conseillent les moyens aventureux. Telle a été la conduite des unitaires modérés à Francfort. À mesure qu’ils ont vu leur utopie favorite devenir plus impossible, ils ont fait plus d’efforts pour la réaliser. C’est ainsi que, n’étant pas d’abord favorables à la Prusse, ils ont nommé le roi de Prusse empereur ; c’est ainsi que, n’étant pas républicains ni amis de la république, ils ont fait dans la constitution de grandes concessions au parti républicain, le tout pour avoir le plaisir de créer un empire germanique. Vains efforts ! le roi de Prusse n’a pas voulu être empereur de nom seulement, et la constitution n’a pas été reconnue par les grands états de l’Allemagne. Point d’empereur et point de constitution, voilà le triste dénoûment de l’œuvre tentée par les unitaires. En même temps, le parti violent, s’applaudissant des échecs du parti modéré, courait hardiment à la république. Que restait-il donc à faire au parti modéré ? C’est en vain qu’un des membres de ce parti, M. Reh, nommé président de l’assemblée nationale, disait le 12 mai : « Nous avons à faire tête aux deux ennemis qui se disputent l’Allemagne, la réaction et l’anarchie… Nous ne devons pas faire une révolution ; non ! nous devons la clore. » Il exprimait par ces paroles, d’une part, la situation, et, de l’autre, les intentions du parti modéré ; mais il n’indiquait pas d’expédient. Il n’y en avait plus, une fois que la Prusse avait, d’une part, refusé la couronne impériale s’il fallait l’accepter avec la constitution, et que l’assemblée constituante, d’autre part, déclarait que la constitution était définitive et immuable. Aussi, le 21 mai, soixante-cinq membres du parti modéré résignèrent leur titre de représentant et quittèrent l’assemblée. Voici comment ils expliquèrent leur démission ; il est bon de citer quelques mots de cette déclaration. Ils indiquent d’abord le refus que la Prusse et les autres grands états de l’Allemagne ont fait de reconnaître la constitution, et, d’un autre côté, les insurrections républicaines qui ont déjà eu lieu. Dans cet état de choses, l’assemblée nationale n’a d’autre alternative que de déchirer, en écartant le pouvoir central actuel, le dernier lien entre tous les gouvernemens et les peuples de l’Allemagne, et d’amener une guerre civile, dont le commencement a ébranlé déjà les bases de l’ordre social, ou de renoncer à la mise en vigueur de la constitution de l’empire… « Les soussignés ont considéré, dans ces deux nécessités, la dernière comme la moins funeste à la patrie ; ils ont acquis la conviction que l’assemblée nationale, maintenant que des pays entiers de l’Allemagne n’y sont plus représentés, ne peut plus rendre d’utiles services à la nation… »

Après la retraite du parti modéré, le parti violent, et ce qui s’appelait l’ex-