Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tues devant une grande douleur publique. La mort du maréchal Bugeaud a fait oublier à chacun de nous ses deuils privés pour ne plus songer qu’au deuil public. Chaque jour, le maréchal Bugeaud devenait plus cher au grand parti de l’ordre social ; chaque jour, il servait de lien plus étroit à tous les hommes qui sont décidés à combattre l’anarchie et à empêcher l’installation permanente de la guerre civile dans nos murs, et voilà qu’il nous est enlevé par le coup le plus soudain et le plus imprévu, enlevé dans sa force, enlevé à son avenir, enlevé à nos espérances ! Et dans quel moment ! Ah ! ce n’est pas seulement de son épée que nous avions besoin, soit sur la frontière de notre pays, soit sur la frontière non moins menacée de l’ordre social ; c’était de sa force et de son autorité morale, c’était de son ascendant chaque jour plus étendu et plus accepté. Nous ne manquons pas de capacités illustres, de courages éprouvés, d’habiletés consommées ; mais les hommes les plus précieux parmi les éminens sont ceux qui réunissent et qui rallient, ceux qui servent de centre et de noyau, les hommes enfin qui rencontrent partout l’assentiment. Voilà dans notre société divisée et morcelée par les opinions et par les passions, voilà les hommes qui nous sont surtout nécessaires. Le maréchal Bugeaud était l’un de ces hommes rares, et ce n’est pas seulement dans l’armée que sa perte fait un vide immense, c’est dans la cité tout entière.

Nous avions besoin d’exprimer nos sentimens de profonde tristesse avant d’arriver aux événemens qui ont rempli cette quinzaine si douloureusement terminée. La mention rapide de ces événemens indiquera, non pas la cause, mais le prétexte de l’insurrection tentée hier par la montagne.

Et d’abord les événemens de Rome. Ces événemens sont le prétexte de l’insurrection de la montagne ; mais ils n’en sont pas la cause. Nous sommes à notre aise pour parler aujourd’hui des affaires de Rome : nous avons approuvé la première pensée de l’expédition, et c’est à cette pensée que le ministère aujourd’hui est revenu.

Si le parti radical daignait étudier quelque chose, il saurait que notre intervention en Italie est réglée, pour ainsi dire, d’avance par notre expédition d’Ancône en 1832. Il y a entre les deux expéditions, entre leurs buts, leurs moyens, leurs effets, une analogie frappante. La première peut et doit servir d’exemple à l’autre, car il y a les mêmes choses à faire et les mêmes choses à éviter, en plus grand cependant, parce que les circonstances sont, soit en bien, soit en mal, plus caractérisées en 1849 qu’en 1832.

En 1832, une révolution s’était faite à Bologne, qui avait déclaré le pape déchu de son pouvoir temporel ; mais cette révolution avait été promptement comprimée par les Autrichiens. C’est la vieille histoire de la démocratie s’exagérant et succombant bientôt devant le despotisme. Il s’agissait de savoir si la France laisserait les états romains sous l’influence de l’Autriche et de la contre-révolution. Il y avait là une question d’indépendance et de liberté. L’indépendance de l’Italie méridionale était menacée par la prépondérance de l’Autriche ; la liberté, ou plutôt les réformes que l’esprit du temps réclamait dans l’administration des états romains, étaient compromises par la victoire de la contre-révolution. Ajoutons que ces deux questions, celle de la liberté et celle de l’indépendance, se tenaient étroitement ; car si l’esprit du temps n’obtenait pas les réformes conve-