Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1099

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le capitaine Lewis s’aperçut alors de la faute qu’il avait commise et se hâta de balbutier quelques excuses. Armijo continua son interrogatoire. Il s’informa du nombre des hommes de l’expédition et des intentions des commissaires. Les plus pacifiques assurances lui furent données. Alors Armijo exprima le désir d’avoir auprès de lui un interprète. Le hasard voulut que le capitaine Lewis parlât mieux espagnol que ses compagnons d’infortune. Il se chargea donc de porter la parole en leur nom ; ce fut un malheur, car cet officier avait déjà donné une première preuve de faiblesse, et en ce moment la crainte de la mort lui ôtait toute présence d’esprit. Votre vie, répondit Armijo aux protestations du capitaine Lewis, me répond de votre sincérité. Malheur à celui qui m’aura trompé ! Et il donna l’ordre à l’escorte ainsi qu’aux prisonniers de rebrousser chemin vers San-Miguel ; puis les trompettes retentirent de nouveau, et le corps de cavalerie du général défila devant les prisonniers accablés de fatigue. Parmi cette troupe bigarrée, les Américains ne tardèrent pas à distinguer Carlos, leur ancien guide. La figure pâle, le bras en écharpe et la poitrine ensanglantée, le Mexicain suivait Armijo monté sur une mule. Allait-il partager leur sort ou recevoir le prix d’une trahison ? c’est ce que les prisonniers ne purent deviner.

Le soleil avait cessé d’éclairer les sommités des montagnes lorsque le dernier cavalier de l’escorte d’Armijo se perdit dans l’éloignement. La route entre Santa-Fé et San-Miguel est entrecoupée de collines et de ravins, et à minuit les prisonniers étaient encore à six milles de cette dernière bourgade, quand le ciel devint si sombre, la campagne si obscure, que l’escorte de cavaliers qui les surveillait dut faire halte. Au moment où l’on s’arrêta, la pluie commençait à tomber par torrens. Prisonniers et soldats durent chercher, après une marche de trente milles, le sommeil sur une terre inondée.

Enfin les voyageurs arrivèrent à San-Miguel. La place était encombrée de soldats en armes, à travers lesquels ils furent conduits vers une chambre attenante à une caserne. Une étroite fenêtre s’ouvrait sur la place. À peine dix minutes s’étaient-elles écoulées, qu’un jeune prêtre pénétra dans la prison et vint apprendre aux Américains qu’un des leurs allait être immédiatement fusillé. Un coup d’œil de morne résignation fut échangé entre les prisonniers. Quelle allait être la victime ? Le prêtre répondit aux questions des Américains en leur désignant du doigt la fenêtre qui donnait sur la place où l’exécution devait s’accomplir. Tous coururent aussitôt à cette fenêtre. Un homme traversait la place. À son costume il était facile de le reconnaître pour un Texien ; mais un mouchoir couvrait sa figure et empêchait de distinguer ses traits. Tout ce que le prêtre put leur apprendre, c’est que cet homme avait été fait prisonnier, qu’il avait tenté de s’échapper, et que la mort punissait