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les sabots de son coursier lançaient jusque sur les rideaux de cuir les cailloux arrachés au sol. Un troisième cavalier succéda aux deux autres. Par une inexplicable singularité, chacun des trois Indiens, dans l’impétuosité de leur course, semblait dédaigner de jeter un regard sur la voiture des voyageurs. Acharnées après leur proie comme des loups affamés à la poursuite d’un daim, les trois effrayantes apparitions avaient passé comme autant d’éclairs, sans que les voyageurs, restés seuls loin des leurs, eussent pu mettre la main sur leurs armes. Le bison et ses trois persécuteurs n’étaient déjà plus que des points à peine visibles à l’horizon de la prairie, quand M. Kendall et ses compagnons saisirent leurs carabines : ils s’applaudirent de n’avoir plus d’ennemis devant eux, car aucune de leurs armes n’était chargée. Quelques instans d’une course rapide permirent heureusement au wagon d’atteindre le campement où régnait une confusion complète. Tandis que les cavaliers les mieux montés s’étaient élancés à la poursuite des Indiens, d’autres chasseurs s’étaient emparés du gibier que les sauvages poursuivaient avec tant d’ardeur. À côté du lieu de halte choisi par la caravane, près d’un cours d’eau ombragé de grands arbres, s’élevait un camp indien précipitamment abandonné. La famine l’avait visité, à en juger par les os soigneusement rongés d’animaux immondes, tels que des fouines et des serpens, et l’aspect lamentable d’une vingtaine de chiens aux flancs caves et décharnés que la faiblesse avait empêchés de suivre leurs maîtres ; les moins exténués avaient seuls pu venir chercher asile auprès des Américains. Les cavaliers sauvages qui poursuivaient le bison appartenaient sans nul doute à la tribu affamée dont le camp était désert, et la faim seule qui déchirait leurs entrailles avait fait taire leur crainte ou leur curiosité à l’aspect si nouveau pour ces barbares d’une voiture ou d’une caravane de Visages-Pâles.

La caravane ne fit halte, en ce lieu que pour un instant. Les officiers donnèrent l’ordre de se remettre en marche, et quelques détachemens reçurent mission de battre la campagne dans l’espoir de capturer quelque guide indien, car on n’était pas encore certain d’être sur la bonne route. Malheureusement toutes les recherches furent vaines, et l’expédition dut continuer sa marche pour ainsi dire à l’aventure.

C’est au milieu de ces pénibles préoccupations que le rôle du Mexicain Carlos, l’un des principaux personnages de cette relation, commence à se mieux dessiner. Du haut d’une éminence apparaît sur la droite et dans la direction du nord une ceinture d’arbres épais, parallèle à la route, et qu’on hésite à reconnaître pour les bois qui bordent la Rivière-Rouge. Le Mexicain, attaché simplement jusqu’alors à une des compagnies de l’escorte, apprend aux officiers qu’il a souvent dressé ses trappes en aval et en amont de la Rivière-Rouge, qu’il en connaît parfaitement tous les traits distinctifs, et que partout aux alentours