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en un sentiment populaire. Chacun comprend à merveille qu’une fois que l’industrie suffit aux exigences qu’elle est appelée à satisfaire au dedans, son développement et sa prospérité sont subordonnés à l’état du commerce extérieur. Production et exportation sont alors deux idées essentiellement corrélatives l’une de l’autre. La masse des produits dépasse-t-elle les demandes de l’étranger, les catastrophes économiques deviennent aussitôt imminentes. Si le gouvernement anglais ne parvient pas toujours à équilibrer les deux termes, c’est là du moins l’invariable tendance de sa politique.

En France, nous marchons depuis long-temps au hasard, sans avoir un système déterminé et conforme à notre situation spéciale. Il faut remonter au-delà de 1789, jusqu’à l’ancienne monarchie, pour retrouver des intentions vraiment systématiques ; c’est, du reste, une tâche difficile que de tracer la ligne où nous devons entrer et de marquer ainsi le point de départ d’une tradition nouvelle. Tant qu’on n’aura pas résolu ce problème, en tenant compte tout à la fois de l’état de nos fabriques, de notre amoindrissement colonial et des nécessités politiques, il faut s’attendre à des oscillations fréquentes, et, en définitive, à dépenser beaucoup d’argent et de soins, sans qu’il en résulte des facilités nouvelles pour l’écoulement de nos produits. L’industrie ne serait qu’un moyen de richesse, comme on a long-temps pu le croire, qu’on devrait déjà se préoccuper de sa destinée ; mais elle a un plus noble rôle à remplir dans la société : elle est, avant tout, un puissant agent de civilisation. Le vaste champ ouvert au travail forme une arène où les peuples exercent leur génie divers pour le bien général des hommes, et où les conquêtes réalisées deviennent un fonds commun, source certaine de nouveaux progrès. La France y brillera toujours, nous l’espérons, par une initiative hardie, ingénieuse, que distinguent un goût délicat et un vif sentiment de l’harmonie des formes. Affaiblie par une crise sans exemple dans l’histoire, notre industrie porte en elle une force vitale qui l’a soutenue durant l’épreuve et qui lui conserve encore sa glorieuse mission. Il dépendra de la politique destinée à gouverner ses mouvemens au dedans et au dehors d’élargir et de féconder ses efforts infatigables. Pour cela, c’est notre dernier venu, il faut avant tout que les pouvoirs publics soient maîtres enfin de consacrer aux progrès pratiques et aux améliorations sociales une attention et des soins que les violences des factions ont, absorbés jusqu’à ce jour dans une stérile défensive.


A. AUDIGANNE.