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appui mutuel, et de cette alliance dérive une garantie pour la loyauté des expéditions. Entièrement privé de ces énergiques ressorts, est-il étonnant que le commerce français ait vu sa sphère se restreindre chaque jour de plus en plus ? Il y a des parages où il ne pénètre plus sous le pavillon national. Combien avons-nous de navires par an dans les mers de la Chine ? combien envoyons-nous de produits dans ce monde immense de l’extrême Orient où s’ouvrent de si vastes marchés ? Quand nous y paraissons, c’est pour y étaler notre impuissance. À Canton, par exemple, les affaires pour les laines seulement montent à 30 millions de francs environ par an ; nous ne figurons pas dans ce chiffre énorme pour 1 million en dix années (1 million sur 300 millions !). Tous ces faits ont été, durant la dernière crise, habilement commentés par les partisans des compagnies d’exportation. Si l’industrie privée, disaient-ils, est aussi évidemment inhabile à s’aider elle-même, il faut bien venir à son secours ou se résigner au complet anéantissement des exportations françaises.

Quelque spécieux que soit ce raisonnement, il ne s’ensuit pas que la création de compagnies privilégiées fût le vrai moyen d’attirer l’industrie vers les opérations du commerce extérieur. D’abord, au point de vue des nécessités du moment, on objectait avec succès l’évidente inefficacité du remède. Quand l’organisation des compagnies serait-elle terminée ? quand leur influence se ferait-elle sentir ? L’industrie particulière n’aurait-elle pas depuis long-temps succombé, lorsqu’on se trouverait prêt à lui porter secours ? On aurait seulement embarrassé les finances de l’état dans des projets chimériques. Au point de vue de l’avenir et de l’esprit de notre droit public actuel, l’institution projetée prêtait également aux plus sérieuses critiques. Renversant immédiatement les opérations existantes, elle aurait rendu impossible tout effort individuel. Quelle maison aurait pu entrer en concurrence avec une société soutenue par les capitaux du gouvernement, et rejetant en définitive sur le trésor public le fardeau des pertes éprouvées ? Que l’association dût être un élément de force et d’activité, que ce fût même le seul moyen de salut, pas de doute possible, à une condition cependant, c’est que l’association ne serait pas fondée sur le monopole et ne s’alimenterait pas de privilèges. Alliance entre le fabricant et l’exportateur, telle est la première tendance qu’il importe d’encourager, et dont une société privilégiée étoufferait le germe.

Si on voulait suivre jusqu’au bout le raisonnement des adversaires des compagnies d’exportation, on toucherait bientôt à la grande querelle de la protection et du libre échange. On verrait que notre système de douanes est accusé de la décadence du commerce extérieur. Comment notre marine pourrait-elle exporter nos marchandises, s’écrie-t-on, si elle n’a pas de fret pour le retour, et si elle est obligée de faire peser sur les articles expédiés de France les dépenses du voyage tout entier ? Est-il possible que nos exportateurs entreprennent de négocier avec tel ou tel peuple dont il leur est défendu de recevoir les produits en échange des nôtres ? Voilà comment on se trouvait poussé malgré soi sur le brûlant terrain d’anciennes discussions qu’on était convenu d’ajourner. Au milieu des ravages de la crise, avant de songer à régler les futures destinées du commerce, il fallait pourvoir aux pressantes nécessités du moment. À ce point de vue, les compagnies étaient aisément mises hors de cause. Protectionistes et libres échangistes conservaient intacts leurs argumens et leur position respective.