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les primes si souvent proposées comme moyen d’encourager les exportations, il y a une grave question préliminaire à résoudre avant de prendre un parti : les gouvernemens étrangers n’auraient-ils pas la volonté et les moyens de rendre vaines les dispositions adoptées ? Rien de plus facile pour eux ; s’ils veulent maintenir les choses sur le pied actuel, il suffit d’élever les droits d’entrée d’une somme équivalente à la prime de sortie. Ce mode d’encouragement tourne presque toujours, comme l’expérience l’a démontré, au préjudice de la nation qui l’emploie. Il est rare, en effet, quand la prime cesse, que l’augmentation du droit d’entrée dont elle a été la cause cesse entièrement avec elle. On a vu des cas où la surtaxe était intégralement maintenue. En admettant, au surplus, que la prime suive librement son cours, elle appauvrit le trésor national au profit des consommateurs étrangers. C’est un cadeau qui diminue pour eux le prix des produits en une proportion égale à son chiffre. Expédient chanceux, la prime reste donc, en thèse générale, un mauvais calcul. Si, dans une situation tout-à-fait extraordinaire, un gouvernement est contraint d’y recourir pour désencombrer le marché et rendre un peu de mouvement au corps industriel, l’application du système doit être courte, restreinte et calculée soigneusement sur les dispositions présumées des autres peuples.

Les primes reconnues insuffisantes pour réveiller le commerce extérieur de son engourdissement, aurait-on pu recourir avec plus d’avantages à la création de compagnies privilégiées recevant des subventions du gouvernement et qui se seraient chargées d’exporter les produits français ? Les partisans de cette idée ne manquaient pas de représenter le triste état où sont réduites nos exportations. Tous ceux qui ont visité les grands marchés du monde ont reconnu l’infériorité de notre commerce : personne ne conteste ce mal ; mais à quelle cause faut-il l’attribuer ? Ici commencent de profondes dissidences qui réagissent naturellement sur le choix des remèdes à mettre en usage.

Notre commerce extérieur manque d’organisation ; voilà le premier fait dont L’esprit est frappé. La France ne compte qu’un très petit nombre d’exportateurs dignes de ce nom, c’est-à-dire qui spéculent à l’aide d’un capital assez considérable pour pouvoir attendre les retours. Les affaires se traitent généralement à crédit par l’intermédiaire de pacotilleurs dont la solvabilité douteuse, subissant la loi des fabricans, n’obtient guère que des marchandises de rebut. Jamais notre industrie ne prend un intérêt direct dans les opérations lointaines. Combien ce système, où tout roule à peu près sur le frêle pivot de la pacotille, diffère de la constitution du commerce extérieur de la Grande-Bretagne ! Toujours prêts à s’intéresser dans les spéculations commerciales, les manufacturiers anglais sont à la fois fabricans et exportateurs. Ils sentent dès-lors combien il est important pour eux de s’enquérir du goût des différens peuples, et ils approprient leurs produits à des destinations qu’ils connaissent[1]. Les armateurs, de leur côté, ne sont pas seulement, comme chez nous, des voituriers qui transportent une caisse de marchandises à un prix convenu ; ils ont encore un large intérêt au succès de l’entreprise. L’armement et la fabrique se prêtent ainsi un

  1. De nombreux exemples que nous croyons inutile de citer établissent surabondamment à quel point nos manufacturiers négligent de se tenir au courant des convenances étrangères.