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dans le département de la Seine, le chiffre de trois cent dix-huit. Elles employaient environ trente mille ouvriers, hommes, femmes ou enfans. Un personnel infiniment plus nombreux est attaché aux établissemens placés en dehors de ces conditions. L’industrie parisienne proprement dite, c’est-à-dire l’ébénisterie, les bronzes, la bijouterie fausse, la papeterie, la tabletterie, et vingt fabrications, d’articles de fantaisie et de goût, enveloppe dans son immense réseau, plus de soixante mille familles ouvrières. Nous n’avons pas besoin d’insister ici, sur les effets de la crise par rapport à la population laborieuse ou à la production industrielle. Ces effets lamentables, on ne les connaît que trop : ils sont écrits dans l’histoire de l’année 1848 en des traits qui s’effaceront difficilement de notre mémoire. Rappelons seulement que, si toutes les industries ont chômé, si les filatures, les teintureries, les ateliers pour la construction des machines, etc., sont tombés, au moins un moment, dans une inaction absolue, ce sont encore les articles dits de Paris qui ont été le plus cruellement décimés. En l’absence de relevés officiels qu’il n’est pas possible de dresser, et en attendant les résultats d’une investigation à laquelle la chambre de commerce se livre avec une patience digne d’encouragement, nous avons interrogé les hommes qui connaissent le mieux l’état économique de notre grande cité. D’après les renseignemens recueillis, nous croyons pouvoir évaluer le ralentissement de l’industrie appelée parisienne aux neuf dixièmes pour les ventes et aux sept dixièmes pour la production. Les pertes des autres fabrications, relativement à leur activité durant les années précédentes, ne seraient au contraire que des deux tiers sur la vente et d’un peu plus de moitié sur le chiffre des produits.

Si, reprenant en bloc tous les documens accumulés, nous envisageons maintenant, dans son ensemble, l’état industriel du pays durant la crise, nous ne croyons pas pouvoir être taxé de pessimisme en évaluant l’amoindrissement total de la fabrication à la moitié du chiffre normal, Or, la production manufacturière est estimée à 2 milliards par an, dans lesquels les quatre industries textiles du coton, de la laine, de la soie et du lin entrent pour à peu, près 1,600 millions. La perte de notre grande industrie nationale serait donc, d’environ 850 millions pour dix mois. Quelle a été la part des travailleurs dans cet immense désastre ? Les fabriques françaises n’occupent pas moins de deux millions d’ouvriers. Les salaires peuvent être évalués en moyenne à 1 fr. 25 cent. par jour, en tenant compte des femmes et des enfans, ce qui donne ; pour deux millions d’ouvriers et deux cent cinquante jours ouvrables, en dix mois, une somme de 625 millions. Si le travail a été réduit de moitié, les salaires ont éprouvé une égale diminution : les ouvriers de l’industrie ont donc perdu au moins 312,500,000 francs.

Qui pourrait remuer tous ces chiffres d’une main froide et insensible ? Comment ne pas songer, hélas ! à toutes les misères, à toutes les larmes que la crise révolutionnaire a coûtées, à tant d’existences grandes ou modestes, fondées sur le travail, qu’elle a subitement renversées ? Si pénible que soit l’amoindrissement de la richesse nationale, on est encore plus touché des souffrances dont la classe la plus nombreuse a été la principale victime. En face de ce débordement de maux, le gouvernement n’est pas sans doute resté immobile et, inactif. Qu’a-t-il fait ? Que devait-il faire ?