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l’effet qui me paraissent l’avoir complètement éloigné des voies de l’avenir.

Si je ne me trompe, nous avons dépassé l’état moral où la poésie pouvait être le talent d’orner la vérité. En littérature comme en tout, il faut que le mensonge et l’adresse fassent place à la sincérité, et cela par la simple raison que les hommes ne se laissent plus prendre à ces artifices. Quand le lecteur est assez clairvoyant pour reconnaître le vrai sous l’idéal, la pensée sous sa parure, le poète qui vise à bien dire ou à corriger la réalité devient pour lui une sorte de prestidigitateur qui l’insulte presque en croyant pouvoir l’éblouir. L’empire des mots a beau être immense, on finira par déchirer le prestige derrière lequel se cache la présomption qui se croit capable de mieux faire que Dieu. Un jour viendra, je l’espère, où l’on emploiera une nouvelle méthode critique pour apprécier les divers systèmes poétiques ou philosophiques, et on s’apercevra alors que les uns comme les autres ne se divisent guère qu’en deux classes ou écoles, l’école idéaliste et l’école expérimentale, celle qui procède par synthèse et celle qui procède par analyse ; — la première, qui traite l’art comme le radicalisme a voulu traiter la société, qui commence, de prime-saut, par concevoir ce que doit être la poésie en général ou telle composition en particulier, et qui, sa conception posée, se borne à en déduire les conséquences ; — la seconde, qui suit une voie toute contraire, qui, au lieu de décider à priori à quelles conditions doivent satisfaire une bonne philosophie ou une bonne épopée, ne cesse d’étudier ce que les choses sont et peuvent être, d’observer quel effet elles peuvent produire sur une ame d’homme, d’amasser enfin jour par jour de nouvelles impressions et de nouvelles perceptions pour les laisser librement s’associer, se mettre d’accord et former ainsi sa conception, poème ou système philosophique. L’expérience a déjà démontré où conduisait la première de ces méthodes, quand on l’appliquait à l’organisation des sociétés : sans doute nous arriverons à reconnaître qu’appliquée à l’organisation d’une œuvre littéraire, elle n’aboutit qu’à immobiliser l’art et à mettre le beau théorique en contradiction avec le beau pratique, le don de plaire. Les regrets sont superflus ; c’en est fait de la poétique de l’Arioste, c’en est fait même de celle d’Homère. La littérature ne peut être un badinage qu’aux époques où l’instinct dominant est le besoin de badiner. Le beau ne peut consister dans les grandes généralisations qu’aux époques où l’intelligence a seulement commerce avec les grands traits des choses. Si chacun des héros du vieil Homère est un type qui résume toute une catégorie d’êtres humains, c’est que ses yeux voyaient comme il a peint. Il a mis dans ses portraits tout ce qui l’avait frappé ; il a été sincère : que nos poètes le soient comme lui. De tout temps, pour que