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jamais à Paris qu’en courant et un pied levé. Jusque dans les boudoirs de la Muse française, il pensait à ses fleurs du Coisel qu’il ne verrait pas : « ! En revenant au Coisel le 19 juillet, écrivait-il (en 1823), j’ai encore trouvé les roses très fraîches et très belles. Au moins j’en ai encore joui, quoique leur grand éclat fût passé. Une de mes douleurs à Paris a été de n’avoir pu jouir dans toute leur fraîcheur de mes belles roses du Coisel. » Et quand il était à Paris l’hiver, comme à cette soirée de janvier chez Nodier, ce n’étaient plus les roses, c’étaient les frimas et la neige même du Coisel qu’il regrettait : « 25 janvier (en revenant de Paris), je suis plus fatigué que jamais du monde, où je viens de me replonger encore pendant quelques jours… Mon Dieu ! que je suis aise de me retrouver un moment à la campagne ! J’ai du plaisir à y retrouver même l’hiver avec ses giboulées, son âpreté, ses neiges. »

Les événemens de juillet 1830 avaient été une douleur pour ce cœur ami du passé. Il avait demandé bien peu à la restauration ; il la regretta beaucoup. Quand Charles X, dans son voyage de Paris à Cherbourg, passa par ce canton de Normandie, Chênedollé fut présent sur son passage ; mais laissons parler un historien : « Le second Stuart traversant l’île de Whigt après la perte d’une couronne et à la veille du supplice, une jeune fille lui vint offrir une fleur. Ce genre de consolation ne manqua pas au frère de Louis XVI. Au val de Vire, des femmes, des vieillards, des enfans, sortis de la maison de Chênedollé, accoururent sur le chemin, tenant des branches de lis qu’ils donnèrent aux fugitifs. Famille d’un poète saluant celle d’un roi sur la route de l’exil[1] ! » — Ainsi que je l’ai assez marqué, Chênedollé, dans le cours de sa vie, en venant trop tard et le lendemain, manqua souvent l’occasion ; qu’on n’aille pas dire que cette fois il la manqua encore : noble poète, il l’avait trouvée !

Je pourrais, à l’aide des papiers qui sont sous mes yeux, insister plus long-temps sur ces années finales ; mais le caractère du poète est suffisamment connu, et quant au cœur de l’homme, — de chaque homme en particulier, — à quoi bon chercher à en trop pénétrer les replis ? Le cœur, en définitive, est insondable, et le fond reste un abîme. Libre désormais des fonctions publiques[2], rendu sans partage à ses goûts, entouré d’une famille chérie, au milieu de tout ce qui devait lui faire aimer la vie et lui adoucir la vieillesse, Chênedollé, sur la fin, eut des instans de découragement mortel et d’amère angoisse : c’est alors qu’il se rappelait le souvenir de sa mère, qu’une imagination également inquiète avait dévorée. Les idées religieuses, qu’il avait toujours

  1. Louis Blanc, Histoire de dix ans, tome I.
  2. Il avait, en mars 1833, pris sa retraite comme inspecteur-général de l’Université il avait été nommé à cette place en avril 1830 par M. de Guernon-Ranville.