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et de remarques concernant les modernes et nous tous on en formerait un petit livre d’ana. Chênedollé sut échapper à l’un des effets les plus ordinaires de la retraite et de l’isolement. Jeunes, nous voyons, nous admirons volontiers les qualités des générations qui sont nos contemporaines bien avant de découvrir leurs défauts ; mais, plus vieux et hors de l’action, nous voyons tout d’abord au contraire les défauts des générations qui nous succèdent ; ces défauts nous sautent aux yeux, et nous sommes lents à découvrir leurs qualités, si elles en ont. Chênedollé ne fut pas du tout lent à découvrir les qualités de ses successeurs, et je le trouve attentif ou même enthousiaste pour tous les débuts brillans qui se sont produits depuis 1820 jusqu’à ceux d’Alfred de Musset, les derniers qu’il ait pu applaudir. Avec quelle reconnaissante surprise j’ai rencontré de sa main quelques phrases indulgentes sur celui même qui écrit aujourd’hui ces lignes ! Je n’avais vu Chênedollé qu’une seule fois : dans un de ses voyages à Paris, amené par un ami chez Victor Hugo, un soir que celui-ci nous lisait la préface de Cromwell, Chênedollé avait écouté en silence avec une admiration qui m’avait paru un peu étonnée. Je ne l’avais jamais revu depuis, et j’aurais pu même me reprocher, dans mes nombreuses analyses des poètes modernes, de n’avoir pas cherché l’occasion si naturelle de placer son nom. L’excellent homme n’en avait nullement gardé rancune, et il nous accordait à tous une attention qui était loin d’être sévère. Il s’intéressait, comme à ses roses, aux vers nouveaux éclos à chaque saison. Puisque cette étude n’a d’autre objet que d’offrir un tableau développé des mœurs et des modes littéraires déjà si évanouies, je mettrai ici en manière de preuve une lettre que lui adressait Nodier ; on y reconnaîtra l’exagération, mais aussi la grace de cette plume séduisante :


« Paris, 16 janvier 1831.

« MON CHER CHÊNEDOLLÉ,

« Il faut que votre cœur fasse encore bien illusion à votre imagination pour que vous ayez pu conserver un aussi agréable souvenir de la soirée que vous avez passée avec nous. Le peu de bonne conversation que je me promettois de vous y procurer a manqué à mon espérance, et vous n’avez trouvé que des sentimens chez nous, quand j’aurois voulu vous y donner des plaisirs. Grace au ciel, il n’y a rien d’aussi indulgent que la supériorité, et j’ai remarqué, dans trois ou quatre hommes de mon temps qui m’ont honoré de leur amitié, que le génie est de meilleure composition que l’esprit dans le choix de ses jouissances.

« Je voudrois bien pouvoir répondre à vos bontés pour nous en vous adressant les babioles que vous avez la complaisance de désirer, mais ces recherches ne vont pas à ma solitude que je circonscris de plus en plus entre mon grabat et mes tisons. J’ai donc remis ce soin à ma fille, la grande maréchale de mon modeste palais, et comme les femmes ne vous oublient pas plus que les hommes,