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Et toi, Sommeil ! de ma paupière
Écarte tes pesans pavots !
Phébé ! j’aime mieux ta lumière
Que tous les charmes du repos.

Je veux, dans sa marche insensible,
Ivre d’un poétique amour,
Contempler ton astre paisible
Jusqu’au réveil brillant du jour.

D’autres pièces seraient à noter pour le dessin et la vigueur[1]. Chênedollé, dans ses odes de date récente, affectionne la stance de quatre vers ; on sent qu’il viserait difficilement à plus de complication dans le jeu. Sa lyre n’a que les quatre cordes ; mais il en touche avec justesse et sentiment, avec fierté et quelquefois avec grace. Ce volume d’Études forme véritablement l’anneau de transition de l’ancien genre avec la manière des générations poétiques nouvelles[2]. Le faire de Chênedollé rappelle par momens celui de Le Brun. Par exemple, pour exprimer une pluie d’orage, il dira : « Des Hyades l’urne effrénée…, » et en parlant de l’océan :

L’homme ne marche point dans tes routes humides ;
Tes orageux sentiers et tes plaines liquides
Ne souffrent pas long-temps ses pas injurieux

Il serait volontiers de l’école des expressions créées, si tant est qu’il y ait une telle école ; mais il sait se garder de l’abus[3]. Un sentiment touchant, et qui revient sous plus d’une forme chez le poète, c’est que la bouillante énergie de ses jeunes saisons s’est refroidie avant le temps dans son sein :

Oui, bien que loin de la vieillesse,
Je ne sens plus l’ardeur de mes premiers transports ;
La Muse se retire, et l’avare Permesse
Me refuse ses doux trésors.

  1. Le goût de chacun se décèle dans les préférences. Népomucène Lemercier, à qui il avait envoyé son livre, lui écrivait : « Parmi la quantité de beaux morceaux que j’ai remarqués dans vos Études lyriques, je ne saurais trop hautement distinguer celui que vous intitulez le Gladiateur mourant : verve, élévation, originalité, il réunit tout. »
  2. M. Auguste Desplaces l’a déjà remarqué (article sur Chênedollé dans la Revue de Paris de mai 1840, tome XVII, 3e série).
  3. Après avoir rappelé le jugement de Fontanes et de Joubert sur Le Brun, qui est un poète de mots, ce qui n’est pas peu, il ajoute pour son propre compte, livrant ainsi son secret : « J’aime les mots sonores ; les mots pleins, pompeux, harmonieux, ont droit de me plaire, même sans idées. Ils me charment par le seul effet du pouvoir musical ; ils exercent sur mon oreille un empire inconcevable. Voilà pourquoi Thomas, Buffon, J.-J. Rousseau, me plaisent tant. Les mots dans leurs écrits ont une véritable magie. » Ce goût du pompeux, dans Chênedollé, combattait et contrariait un peu celui de la douceur et de la simplicité rurale qu’il avait aussi.