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« Voltaire fait de la poésie à la bougie, mais Virgile en fait aux rayons du soleil. »

Ceci ne passait point sans contradiction : Fontanes faisait ses réserves en faveur de Voltaire, comme Chênedollé tout à l’heure avait fait pour Buffon. Cependant tous s’accordaient à peu près à conclure :

« Voltaire a fait des vers très pompeux, très éclatans, mais il n’a pas de style en vers ; il ne connaît pas le tissu du style poétique. Il a des vers, et point de style. »

« Saint-Lambert n’a pas le velours de la mélancolie, il n’a que de la tristesse.

« Virgile a des vers rêvés. Il n’y a que les vers rêvés qui plaisent. »

« En poésie, toute rêverie doit être courte. »

« Fontanes dit que Le Brun est un poète de mots. — Et ce n’est pas peu, répond Joubert.

« Esménard, — un ébéniste en vers. »

« Le talent de Boisjolin n’était qu’une tulipe inodore ; elle a été noircie dans l’espace d’un jour par les feux du soleil. »

« Joubert veut de l’avenir dans toutes ses idées. Il veut que le premier mot touche le dernier, y réponde moyennant un enchaînement continu. Il veut que dès le vestibule tout s’annonce :

Apparet domus intus et atria longa patescunt.


Il faut qu’on entrevoie les longs portiques dans une idée, — et aussi qu’arrivé à la fin, en se retournant, on revoie tout le passé d’une seule perspective.

Ce qui rejoint cette autre pensée imprimée et la complète : « Il faut que la fin d’un ouvrage fasse toujours souvenir du commencement[1]. »

On peut deviner par ces simples traits épars l’ordinaire des entretiens ; mais, quand il était en tête-à-tête avec Fontanes, Chênedollé jouissait plus complètement encore : il causait vers, procédés de l’art, secrets du métier. Il pouvait parler uniquement des choses qu’il aimait le plus. Ici je n’ai qu’à recueillir, pour être fidèle, l’expression si vive, si naïve, si abondamment épanchée, de ses regrets, lorsqu’il apprit la mort de son ami :


« 21 mars 1821.

« La mort de M. de Fontanes[2] a achevé de me désenchanter de tout, même des lettres et de la poésie, aussi vaines que tout le reste. Quand je repasse en ma mémoire les momens ravissans que nous avons passés ensemble en corrigeant les vers du Génie de l’Homme ou ceux des odes de Michel-Ange et d’Homère, quand je songe aux promenades délicieuses que nous avons faites en 1807 au bois de Boulogne, au bois de Vincennes, et qui étaient pour moi une suite d’études poétiques où je trouvais tout ce qui pouvait me fortifier et m’enchanter, critique fine et piquante, instinct poétique admirable, goût rapide et infaillible,

  1. Pensées de M. Joubert, tome II, p. 115.
  2. Fontanes mourut le 17 mars 1821.