Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1001

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur Buffon, il se livrait de vifs combats :

« Joubert prétend qu’il n’y a que de fausses beautés dans Buffon. Il prétend que son style est contagieux, parce qu’il cache l’emphase sous un air de sagesse. — Cela est injuste de tout point, s’écriait Chênedollé. Buffon n’est pas le premier des écrivains, sans doute Pascal et Bossuet sont au-dessus de lui ; mais c’est un très grand écrivain. La pureté parfaite du style s’allie en lui à une noblesse continue. Il a donné à la langue française cette élévation calme et majestueuse que Platon avait donnée à la langue grecque. — Arrêtez ! s’écriait à son tour Joubert, n’associez point à Buffon le nom de Platon, ce génie de la grâce. »

« La Bruyère est beaucoup loué, il ne l’est pas assez. Il y a de plus grands styles que le sien, il n’en est point de plus parfait ; tous les genres de beautés de style sont dans son livre. »

« La Rochefoucauld a connu à la fois le style coupé et le style périodique, et dans ses Mémoires il s’est approché de très près des formes des plus grands modèles. Il y a des endroits qui ne seraient au-dessous ni de Pascal ni de Bossuet. On y trouve une beauté simple d’expression, une extrême vigueur de pensée, et souvent une manière de relever la phrase qui est tout-à-fait dans le goût des grands maîtres. »

« Les anciens peignaient toujours dans les objets la beauté présente ou absente. Ainsi, dans la difformité ils peignaient la place de la beauté, et dans la vieillesse la place de la jeunesse. Les modernes n’ont voulu peindre dans la difformité que la chose même : il n’y a point d’enfoncement et point de recul dans leur manière de sculpter ou de peindre. »

« Il ne faut pas que les objets que l’on peint soient d’une vérité matérielle ; il faut que les chairs ne soient pas les chairs de la nature : en un mot, il faut rendre les vérités par des illusions. »

« Dans la critique, on peut mêler les images et les formes de l’éloquence à la discussion : Diderot l’a fait avec succès. Fontanes, suivant Joubert, est souvent pris aux fausses beautés, mais il sent vivement le vrai beau. Il a aussi cherché à donner une forme animée et des parures à la critique. »

« Il y a de l’incomplet dans le talent comme dans la pensée de La Harpe. Dans les dernières années de sa vie, l’indignation lui a donné du talent[1]. »

« Il y a plus encore de folies de style que de folies d’idées dans les ouvrages de Diderot. »

« Tout le siècle de Louis XV est là-dedans, un sérieux qui n’a pu être effacé par le frivole. »

« Joubert dit que le style de Rousseau fait sur l’ame l’impression que ferait la chair d’une belle femme en nous touchant. Il y a de la femme dans son style. »

« Le poème descriptif n’est qu’une fantaisie poétique ; on peut se la permettre, mais il faut qu’elle soit courte. »

« Delille a l’air de tenir boutique de poésie : « Voulez-vous un cheval ? un coq ? « une autruche ? un colibri ?… »

  1. C’est sans doute pour exprimer ce mouvement d’ardeur sénile et ce feu supérieur en lui à la force réelle de son talent, qu’on rappelait en plaisantant le mot de Diderot « La Harpe est une rosse qui a de beaux crins. »