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juge, pouvoir exécutif, administrateur suprême, maître des personnes et des propriétés. Si le peuple est un souverain dispensé de justice et de raison, s’il peut réellement déléguer une telle souveraineté, la convention a été le type le plus correct de ce système. Quels enseignemens trouve-t-on donc dans l’histoire de cette assemblée unique, qui exerça sans partage le pouvoir absolu ? Ce pouvoir y fut mobile comme la majorité. Durant trois années à peine pourrait-on compter six mois où cette assemblée, que des déclamateurs ont dit si forte et si puissante, n’ait pas été attaquée, violentée, décimée, se déchirant les entrailles de ses propres mains ? Qu’était la souveraineté du peuple, lorsque ceux qui s’en disaient les délégués se dévoraient les uns les autres ? La convention, dit-on ; mais en quoi consiste la convention, pour en faire ainsi un être doué de la même vie, animé du même esprit, suivant une même voie ? La convention ? est-ce les girondins ? est-ce Danton ? est-ce Robespierre ? est-ce ses collègues de terreur chassés ensuite par les thermidoriens ? est-ce la majorité de 1795 flottant entre la réaction et le soin de se défendre ? Où trouver dans cette série de révolutions l’histoire d’un gouvernement ? Laissons de côté toute idée de liberté, de justice et d’humanité : jugeons tout par le succès. Quels hommes sont sortis de la convention puissans sur l’opinion, revêtus de la confiance publique, estimés capables de gouverner a compté des hommes éloquens, sages, courageux, justement honorés ; mais ceux-là ont été ou proscrits ou persécutés. Ceux que maintenant on propose à l’imitation ont pour tout titre d’honneur d’avoir été pendant quelques semaines des vainqueurs sanguinaires, pour succomber, après un instant de tyrannie, sous l’exécration publique, pour monter aux échafauds qu’ils avaient dressés. Tibère et Néon savaient durer plus long-temps. »

Montesquieu n’eût pas dédaigné la finesse et la force de ce dernier trait. Nous l’avions déjà pensé quelquefois : quel dommage que nous n’ayons eu sur les premiers monstres de l’empire romain que les récits des écrivains du parti vaincu, des réactionnaires d’alors ! — nous ne manquerions pas, sans cela, de quelques grandes raisons démocratiques pour justifier, par l’intérêt public, la décimation lente et régulière de toute la haute société romaine. Sénèque et Thraséas auraient mérité leur sort par quelque endroit aussi bien que Bailly et Malesherbes. Rome étouffée dans les flammes serait un aussi grand acte de patriotisme que Lyon noyée dans le sang. Seulement, au jour du jugement, les héros de Tacite s’élèveraient contre la génération nouvelle, car ils ont payé de moins de sang un pouvoir moins éphémère. Parlant sérieusement, la Providence ménageait à ces étranges caprices de l’histoire, qui s’en allaient réhabiliter l’imbécillité par le crime et mesurer la grandeur du génie à la masse du sang versé, une réfutation prompte