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un hiéroglyphe qui exprime la vigilance[1], parce que, disait-on, cet animal dort les yeux ouverts ; selon moi, c’est pour ce motif que des lions sont souvent placés à l’entrée ou aux abords des monumens égyptiens. À Dakké, deux lions sont sculptés des deux côtés d’une porte qui conduisait probablement dans le trésor. Ces lions sont des hiéroglyphes sculptés figurant l’idée de la vigilance qui garde le seuil. Au Muséum britannique, on est entré dans l’idée égyptienne en plaça deux lions à l’entrée de la galerie appelée le Salon égyptien. Ce n’est pas seulement en Égypte qu’on voit les lions placés comme les gardiens des portes. Dans l’Inde, deux lions sont accroupis à l’entrée des souterrains d’Ellora. En Chine, deux lions se tiennent devant le petit temple de Macao. En Assyrie, M. Layard a vu deux lions à l’entrée d’un monument qu’il a découvert. Enfin, en Grèce, deux lions gardent la célèbre porte de Mycène. Deux lions étaient placés devant une des portes d’Ancyre, et, si l’on vient jusqu’au moyen-âge, on trouve des lions au portail des églises[2]. N’est-ce pas là, dans l’architecture de différens peuples, une tradition aveuglément transmise de ce sens symbolique de vigilance figuré par le lion, et qui s’accorde avec le sens littéral de l’hiéroglyphe ?


Amada

Le petit temple d’Amada est un de ceux qui offrent le modèle le plus achevé de l’architecture et de la sculpture égyptiennes à l’époque où ces arts ont atteints leur dernière perfection, à l’époque des Thoutmosis, sous la dix-huitième dynastie, quelque dix-sept cents ans avant l’ère chrétienne et deux cents ans avant Moïse. J’ai dit que le XVIIIe siècle (avant Jésus-Christ) était l’âge de Périclès pour l’Égypte. Rien de plus fini que les bas-reliefs peints et les hiéroglyphes qui couvrent les murs du temple d’Amada. Les moindres détails sont rendus avec une finesse exquise, on dirait parfois les vignettes délicatement enluminées d’un missel[3]. Malheureusement le temple est en partie ensablé ; la base des murs est cachée. Il en est ainsi à Ombos et dans beaucoup d’autres

  1. Le lion paraît avoir été, dans l’ancienne Égypte, un animal domestique attaché à la garde des Pharaons. Ramsès-le-Grand est représenté accompagné de son lion ; Méhémet Ali, le Pharaon moderne, avait aussi son lion apprivoisé.
  2. Sur les sceaux des rois d’Angleterre on voit, jusqu’au XVe siècle, deux lions des deux côtés du trône. C’est que l’usage s’était établi au moyen âge de rendre la justice à la porte des églises entre les lions, inter leones. Ainsi un nouveau sens symbolique, né d’un usage moderne, avait remplacé la signification antique qu’avait dans la langue hiéroglyphique le signe du lion.
  3. J’apprends que ces merveilles de l’art égyptien ont été indignement mutilées. Une partie de la surface du mur a été sciée dans la grande salle du temple. Puisse, à défaut d’autre châtiment, la honte due à cet acte odieux en atteindre l’auteur !