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si librement, si heureusement, sont racontées avec une grace, une vérité que je ne me lasse pas d’admirer. Jamais, je crois, la piété filiale ne s’est montrée plus éloquente, jamais la reconnaissance ne s’est exprimée avec plus d’effusion, jamais l’affection maternelle n’a été célébrée plus dignement. Toutes ces leçons données en présence de la nature, sans le secours des livres, tous ces conseils qui empruntent tour à tour l’élan de l’espérance ou l’humilité de la prière, sont retracés par M. de Lamartine avec une abondance, une limpidité, qui rappellent et qui expliquent les plus admirables élégies de sa jeunesse. En assistant à ces matinées délicieuses, qui sont autant d’actions de grace à la Divinité, à ces soirées recueillies qui s’achèvent sous l’invocation de la Providence, il est impossible de ne pas reconnaître, de ne pas étudier avec une curiosité religieuse le germe précieux qui plus tard devait s’épanouir en odes, en élégies ; cette étude donne aux premières années du poète un intérêt tout-puissant.

Quant aux amours ossianiques de M. de Lamartine avec Lucy, j’avoue franchement que je les verrais disparaître sans regret, et même avec joie. Cette passion, qui ne dit rien au cœur, parce qu’elle ne vient pas du cœur, qui naît d’une lecture et se révèle dans une amplification d’écolier, ne peut attendrir personne. L’auteur condamne justement cette pièce, et je me vois à regret forcé de lui donner cent fois raison. Dira-t-on qu’il n’est jamais inutile de comparer les premiers essais d’un poète illustre aux œuvres de sa maturité ? J’accepte volontiers cette comparaison pourvu qu’elle repose sur des œuvres également sincères ; mais une amplification qui n’exprime aucun sentiment, qui se compose tout entière de réminiscences, ne peut offrir aucun sujet d’étude, et malheureusement la pièce ossianique adressée à Lucy se trouve placée dans cette condition. C’est pourquoi je pense que M. de Lamartine eût agi très sagement en la supprimant.

L’épisode de Graziella commence d’une façon délicieuse. Au moins, dans cette passion, il y a quelque chose de vrai. Si le poète n’est pas sincèrement épris, et la fin du récit ne le prouve que trop ; si, malgré sa jeunesse, qui devrait allumer dans son cœur un foyer de tendresse, il se laisse adorer, comme Goethe par Bettina, sans éprouver un seul des sentimens qu’il inspire ; s’il accepte l’admiration et l’extase comme un tribut légitime, l’amour de Graziella pour le jeune étranger est tour à tour plein de grace, d’abandon, de confiance, calme dans sa douleur, résigné jusque dans son désespoir. Cette pauvre fille qui s’enfuit pour ne pas épouser son cousin qu’elle ne peut aimer, qui s’enfuit sans dire un mot de plainte ou de reproche à l’homme qu’elle aime de toutes les forces de son ame, offre un mélange touchant d’exaltation et de naïveté. Le poète a raison de pleurer sur la mort de Graziella comme sur une faute que nul repentir ne saurait effacer. Quand on a le bonheur de