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chacune de ses paroles, qui le placent, sans hésiter, non pas seulement à côté de Byron et de Rousseau, ce qui est pourtant déjà un rang assez glorieux, mais à côté de Tacite et de Thucydide, personne ne met plus haut que moi le génie lyrique de M. de Lamartine. C’est assurément une des imaginations les plus fécondes les plus spontanées, qui se soient produites, je ne dis pas seulement dans le temps où nous vivons, mais dans l’histoire entière de notre littérature. Du XVe au XIXe siècle, il n’y a pas en France un poète qui puisse se comparer à M. de Lamartine pour la sincérité la profondeur des émotions, pour l’abondance et la richesse des images ; il est, dans ma conviction, notre génie lyrique par excellence. Si chez lui la forme n’a pas toujours toute la pureté, toute la perfection désirable, ce défaut est amplement racheté par la grace souveraine, par la grandeur des images qu’il appelle au secours de sa pensée. Pour lui, la poésie lyrique n’est pas une œuvre laborieuse, mais la vie même de son ame. Il chante comme il respire, sans que sa volonté intervienne. Dans les Méditations, dans les Harmonies, l’étude ne joue aucun rôle ; les stances les plus élégantes, les strophes les plus rapides et les plus riches semblent n’avoir rien coûté. Eh bien ! il y a telle page des Confidences où nous retrouvons avec bonheur toutes ces rares qualités, tous ces dons précieux qui n’appartiennent qu’au génie ; mais plus d’une fois aussi, en lisant l’histoire des premières années du poète, en voyant la puérilité, l’insignifiance des détails, on ne peut se défendre d’un mouvement d’impatience. Vainement voudrait-on soutenir que les moindres actions, les moindres paroles, les moindres pensées d’un homme illustre intéressent les contemporains et la postérité ; cette thèse, qui ne peut être défendue d’une façon absolue, change d’ailleurs d’aspect quand le poète écrit lui-même sa biographie. Je conçois, j’excuse sans les accepter, les détails minutieux que Boswell nous donne sur Samuel Johnson, les comptes et les anecdotes que Lockhart prodigue en nous racontant la vie de Walter Scott ; mais, si Johnson et Walter Scott eussent tenu la plume au lieu de Boswell et de Lockhart, malgré ma vive admiration pour l’historien de la poésie anglaise, pour l’imagination enchanteresse du conteur écossais, je serais moins indulgent. Quelle que soit la grandeur du génie poétique résolu à s’étudier lui-même, quelle que soit l’importance du rôle qu’il a joué dans le mouvement littéraire de son temps, l’homme qui raconte sa vie ne peut impunément franchir certaines limites. S’il ne sait pas s’arrêter à temps, il arrive nécessairement à fatiguer l’attention. M. de Lamartine s’est plus d’une fois heurté contre l’écueil que je signale, et vraiment c’est grand dommage ; car les Confidences, débarrassées des pages inutiles qui ralentissent ou plutôt qui paralysent le récit, deviendraient un livre charmant. L’enfance du poète, sa première éducation, où l’étude proprement dite tient si peu de place, où le cœur se développe