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société qui grandit. L’un des symptômes les plus sûrs de cette croissance est l’augmentation qui se produit régulièrement dans le nombre des patentés. Pendant les cinq premières années, le produit annuel des patentes a été en moyenne de 52,000 francs. En 1845, le nombre des patentables s’élève à 8,570 ; les droits constatés dépassent 350,000 fr.

Malgré l’ingénieuse activité des Sahariens et des Kabiles, l’industrie n’existe encore, parmi les races indigènes, qu’à l’état instinctif dans l’intérieur des familles ; elle échappe ainsi à notre direction et à notre contrôle. Une seule ville paraît faire exception. Ancienne capitale d’un royaume mauresque, Tlemsen conserve un cadre d’organisation industrielle. On y compte encore 500 métiers à tisser, sur les 4,000 qu’elle a, dit-on, possédés aux temps de sa splendeur. Chaque année, elle fait venir du sud plus de 500,000 toisons. Pour le lavage des laines, elle entretient quatre grands lavoirs publics, sans compter plusieurs bassins particuliers. Ces laines, filées à la quenouille par les femmes, teintes en rouge suivant certains procédés traditionnels, sont employées pour la fabrication des ceintures, des calottes, des burnous ; c’est la spécialité de, la ville. Les brodeurs, les maroquineurs, les selliers, quoique peu nombreux aujourd’hui, se piquent également de conserver leur ancienne réputation. Pourtant Tlemsen n’est plus aux trois quarts qu’un monceau de ruines. Ne serait-il pas d’une bonne politique de raviver ce foyer presque éteint ? La population de cette ville, composée en grande partie de Maures, de Coulouglis et de Juifs, est franchement soumise ; le territoire qui l’entoure est excellent. Si l’on pouvait, sans trop de sacrifices, ranimer les anciennes industries, l’enrichissement d’une ville vouée aux travaux pacifiques causerait, parmi les indigènes, un éblouissement utile à notre domination.

Le fait caractéristique, selon nous, le gage principal de sécurité et d’espoir, est le mouvement progressif des échanges entre les Européens et les indigènes. Un calcul attentif et consciencieux nous permet d’élever entre 30 et 40 millions le total approximatif des ventes faites par les Arabes aux Européens, et à une quinzaine de millions les achats faits par ces mêmes Arabes en produits d’origine française. La preuve ressort à nos yeux de divers documens au sujet desquels une explication devient nécessaire. L’administration locale publie, d’après les registres des marchés, un tableau annuel des marchandises apportées par les Arabes. En totalisant la valeur de ces marchandises, on trouve que les apports de 1844 se seraient élevés à 48 millions, et ceux de 1845 à 53 millions ; mais les marchandises enregistrées par les surveillans ne sont pas toutes vendues : les indigènes en remportent toujours une partie, qui reparaît sur d’autres marchés et figure ainsi plusieurs fois sur les états. En second lieu, une portion des denrées mises en vente est acquise par les citadins indigènes, second fait dont il faut tenir